mardi 9 mars 2021
C'est un petit livre – 100 pages, qui donne l'impression d'avoir été écrit hâtivement, peut-être dans le train ou après des séances au parlement européen, dans un certain état d'exaltation de la parole, avec les présuppositions « socialistes » qui font encore jour au niveau de l'Europe, si en France ou en Angleterre on est déjà passé à autre chose.
Les paroles et la politique de Jean Monnet, dans l'immédiat après-guerre 1939-45, exprimant le besoin d'avoir le peuple et les corps sociaux pleinement investis dans des projets de longue haleine, d'investissement dans l'infrastructure, sont récupérées pour une application de nos jours dans la « transition » écologique. D'autres lumières, connues surtout des socialistes, sont mis en avant, un tel Hyman Minsky (1919-1996) qui a proposé que lors de crises il faut embaucher tout le monde au salaire minimum.
On le veut bien, on ne dit pas non. Le problème étant que la version « moderne » de cette idée pourtant simple, est d'embaucher les gens à un, deux ou trois jours par semaine dans des contrats très limités et surtout qui ne donnent pas de quoi vivre, au gré du fonctionnaire qui le décide, sur des travaux qui ne font qu'intensifier la crise écologique. Ce n'est pas la parole d'une écologiste motivée à Strasbourg qui va changer la donne. L'administration est devenue plus forte que la loi - elle fait ses propres lois, en fait.
Si l'on veut isoler les raisons pour lesquels Jean Monnet a cru possible d'embaucher les gens de bonne volonté sur des travaux d'intérêt général, c'est que la guerre les a habitué a participer à des efforts coordonnés de grande échelle, dans un esprit foncièrement nationaliste, que la galère les a fortement motivés à s'en sortir et que les traditions socio-coopératives de l'époque étaient non seulement la norme mais aussi les techniques progressistes politiques que l'on croyait être de l'avenir. Il suffisait d'arroser le sol fertile avec de l'argent hélicoptère pour que tous les petits chefs du coin se mettent au travail, avec les bons vœux et l'engagement résolu de leurs concitoyens, ou dans le cas obstant, le désir prononcé de s'ammiler à la masse pour mieux passer inaperçus.
En 2021, le tableau n'est pas le même. Notre mot d'ordre dans ce combat mortel est de rester chez nous totalement démobilisés jusqu'à nouvel ordre. Les seuls projets, très amorphes et difficile à lire, qui nous sont offerts sont dans la rénovation thermique (qui paraît plutôt une autre usine à gaz pour les profiteurs) et la mise à jour numérique. Comme projets mobilisateurs du peuple, il manque une petite quelque chose pour capter l'imagination. Aller faire des jardins ci et là, tuer quelques bovins pour la forme, ce n'est pas garanti d'enthousiasmer les masses non plus. Pour entreprendre les changements radicaux de modèle proposés, il y a besoin de mettre les gens en immersion dans un monde où les rapports avec la nature et avec leurs frères et soeurs ont un sens pour eux, individuellement et collectivement - avant de leur proposer des gestes de bâton magique qui contredisent leurs vérités culturelles. Je fais un tour de projets potentiels plus bas dans cet écrit.
De surplus, l'idée même de mettre notre destin dans les mains d'une classe de fonctionnaires, de prétendus entrepreneurs d'entreprise zombie, de petits caïds et de grands brimeurs qui nous ont déjà mené une vie d'enfer ces dernières années, sans jamais chercher à promouvoir l'action écologique réelle, est un peu improbable comme motivateur du peuple. Ils s'en foutent de ce qu'on dit à Bruxelles. Le seul atout de Macron, en fait, c'est qu'il n'était peut-être pas intégré, d'apparence, aux groupes politiques existants, connus et déplorés – une notion dont on est maintenant totalement désabusé – l'élite, on le comprend, c'est tout le monde d'en haut – c'est un cartel, à chaque échelle, où qu'on cherche. Il faut se réformer, se détacher très visiblement de cette perception, pour que chaque tentative de créer d'autres réalités ne s'enlise.
Les preuves d'amour faits au combat dans la deuxième guerre mondiale manquent, de nos jours, dans ceux qui prétendent être les premiers de cordée dans un monde futur. Il y a surtout des preuves de trac du peuple – de peur que « ça déborde ». Il faut aller à l'avant, dans le peuple, avec le peuple. La solidarité à la française qui nécessite une sorte de subordination à chaque échelle à une personnalité dominante crée un genre de retrait de la vie publique de ceux qui n'acceptent pas ces trames de dominance. De ce fait la solidarité se fait surtout chez soi dans l'entre-nous, c'est-à-dire, pas du tout. Cette « boude » nationale fait que lorsqu'il faut agir, les pôles d'attraction théorique servent plutôt de repoussoirs. D'ailleurs, dans ces classes-là, on se méfie des « casse-pieds ». L'innovation n'est pas bien venue. Cela se fait déjà, apparemment, il y a une assoc. pour cela. Étant donné que la Covid a poussé ce désengagement politique et publique aux limites de l'absurde, il est vrai qu'on ne peut que remonter la pente. Mais cela est un constat, ce n'est pas une volonté, encore moins un passage à l'acte.
Des solutions, il y en a, mais même l'expression « solutions écologiques » a mauvais renom, tellement il y a eu de fausses solutions promues. C'est un peu comme chercher quelque chose sur Google, il faut tous les efforts possibles pour trier entre les informations totalement bidons et les cookies qui ne cherchent qu'à vous orienter vers leurs produits. Pour s'en échapper, il y a les services « premium » - c'est-à-dire des vrais services, mais payants, sans pub, ou on a fait l'effort de pré-trier l'information pour qu'elle soit pertinente. Même le Wikipédia devient une enceinte pour les protocolaires intriqués. On rève d'un bon dictionnaire en papier où au moins on n'a pas à se demander si c'est de l'information à peu près sûre.
La solution de base, face à ces contradictions, n'est pas tant d'arroser les gens avec de l'argent, (pour payer à ceux qui nous torturent ?! ) mais de faire que les gens sortent, qu'ils se déplacent physiquement et qu'ils se rencontrent physiquement, qu'ils fassent des choses écologiquement cohérentes ensemble, sans machines – surtout pas de débroussailleuses ou de voitures. Comme ça, c'est clair. L'un des projets pourrait être d'aller cueillir des légumes et préparer à manger, pour ensuite manger ensemble. Cela permet déjà d'établir les potentielles preuves d'amour qui, sinon, n'appartiennent qu'aux logiciels payants. Ces projets pourraient être menés par des chefs et des cuisiniers « des professionnels de la filière restauration » (j'interprète pour les malentendants qui ne parlent plus le français) qui sont, d'après tout, les plus affligés par le confinement et le couvre-feu et les plus motivés pour s'en sortir.
Rappelons-nous que la contagiosité covid est de l'ordre de 80% à l'intérieur en endroit clos, 15% à l'intérieur, mais bien ventilé, et 5% à l'extérieur (France Inter, Matinale, 17.3.21). Normalement, les fonctionnaires, les professeurs, les universitaires et les autres devraient être en train de montrer l'exemple en travaillant dehors, en bougeant à pied et à vélo, en mangeant ensemble dehors et en mettant à disposition du public des ordinateurs portables, des prises de courant et des hotspots - dehors.
La deuxième solution est que les gens qui sont sortis, qui ont mangé ensemble, qui ont réussi dans ces tâches élémentaires, commencent à proposer des solutions pragmatiques dans la même veine – le transport aux marchés des produits locaux dont ils se sont déjà renseignés et servis pour manger ensemble – ils savent donc où il se trouvent, ils peuvent eux-mêmes aller les chercher, ils n'ont pas besoin d'argent pour le transport, juste un peu de coordination et de contact humain avec des vrais gens. A ce moment-là, les « preuves d'amour » de l'administration seraient de ne pas les entraver les pas – même de leur ouvrir le chemin, dans le meilleur possible des mondes. Ces gens payés pour agir dans l'intérêt général pourraient par exemple mettre à la disposition des populations des lieux publics mais dans l'état ... vides, pour faciliter les déplacements, comme s'ils étaient dans un élan d'accueil. Tout cela se ferait sans machines – sans transport motorisé. Ceci démontrerait au moins que l'argent – et surtout l'effort public est en train d'être investi non pas dans les machines, mais dans les gens et dans leur milieu naturel.
Pour suivre donc dans les traces de Jean Monnet, on aura atteint le premier critère de succès potentiel, la motivation et non pas la motorisation d'au moins un secteur du peuple et la croyance que c'est possible, parce qu'on l'a fait. De lancer une telle initiative à partir des corps sociaux intermédiaires existants, y inclus les associations et les ONGs, ce serait déjà de se vouer à l'échec, tellement y en a ras le bol. Ces organismes doivent venir en appui – le monde administratif est encore tel qu'il est, et cela ne change pas du jour au lendemain, on le sait, mais (désolé de le dire) ceux qui sont les mieux placés pour mener de telles initiatives, ce sont les gens qui apprécient la bonne bouffe, qui sont déjà habitués à travailler en équipe, dans des cadres sociaux conviviaux. Des chefs qui ont des raisons d'être des chefs. Des « apolitiques » qui, en réalité, ne font que de la politique, mais pointue – qui n'est autre que le social, l'économie ménagère, l'accueil.
Il faudrait, par contre, à tout coût éviter de mettre dans des positions décisionnaires des spécialistes de l'administration, surtout les économistes, les financiers, les techniciens de l'informatique. C'est un cercle vicieux sinon. De mettre des gens qui ont démontré incontestablement leur coupure du monde physique – qui est celui qui nous fait jouir, prendre plaisir à la vie – dans des positions de pouvoir auxquels leur conditionnement et leur socialisation ne les ont aucunement formées serait un gros faux pas. Ils n'ont tout simplement pas les compétences nécessaires. Si on veut un monde ou il est plus important d'avoir le papier (ou le dossier, ou le cahier de charges, numérisés bien sûr) que le savoir faire de travailler physiquement avec les gens, on n'a qu'à continuer comme ça. Même dans les métiers de la restauration, il y a ceux qui prennent un sac scellé de patates déjà découpées par des machines pour les jeter dans un bac d'huile préchauffé au nucléaire, avec de la viande reconstituée venant de pays étranger comme base. Dans la restauration de l'état et les distributions aux pauvres c'est encore pire - tout est ensuite rescellé dans des conteneurs en plastique jetable individuels pour être rechauffé ensuite - comment veut-on être pris au sérieux quand c'est l'état même qui est le plus grand malfaiteur!? Mais il existe en France encore, de manière transgénérationnelle, une certaine fierté et savoir faire gastronomique, qu'il suffit de fusionner avec des critères écologiques pour réinstaurer un pôle d'attraction qui vaille, basé sur le réel, qui parle aux gens. Il n'y a pas que les Etats Unis qui sont en avance sur nous en termes de développement social (?). Il y a, dans ces domaines de la convivialité, les italiens, même certains espagols.
Ce qui est paradoxal, comme avec toute initiative sincère écologique, c'est que ce genre de cuisine populaire n'a pas vraiment besoin de subvention – il est plutôt générateur d'emploi réel et il utilise plutôt des ressources déjà existantes de manière intelligente et coordonnée. Il encourage le « made in France » - mais vraiment, alors qu'en général le "made in France" consiste en choses faites avec de l'argent et les matériaux premiers piqués des gens qui vivent ailleurs et qui travaillent pour des salaires de misère. Le problème avec cette mesure style : "solution de la singularité écologique" est que justement, il ne consomme pas beaucoup de ressources – la décision de ne pas utiliser des voitures est déjà énorme dans ce sens – et qu'il n'augmente donc pas la PIB – l'outil qui permet à la France de maintenir la confiance des institutions financières dans sa « solvabilité » - sa capacité de payer les dettes qui sont à peu près le seul outil qui reste au gouvernement pour maintenir la société à flot. Mais tant pis, on fera avec - il faut commencer quelque part, et anticiper un peu la probabilité de dislocation, paupérisation et extrèmisation de la vie de "la personne lambda" dans le proche-avenir. C'est vraiment le moins qu'on puisse faire, si on est un responsable politique même un petit peu renseignée sur l'actualité des lambdéens.
C'est aussi pour cette raison qu'il ne faut pas commencer, pour ce genre d'initiative, par rentrer dans le cadre décisionnel habituel – qu'on cherche à sortir les gens de leurs bureaux et de leurs voitures pour les mettre dans des conditions d'association humaine à peu près décentes, de nouveau. Je sais que ce n'est pas facile de mettre des lions qui ont passé toutes leurs vies en captivité à la nature, mais nous sommes supposés être plus "adaptables" que les lions. On y va.
Les habitudes de l'époque industrielle sont collantes. Les habitudes de la visioconférence aussi. Elles le sont d'autant plus qu'il y a l'inertie du non-bouger, d'être contraint dans son espace personnel et sécurisé. Il faut de l'intelligence sociale pour inventer – ou remettre en valeur - des cadres sociaux qui mènent à l'engagement avec l'altérité, multigénérationnels, chaleureux, décontractés, non-exclusifs, basés sur l'ici maintenant. Soyons rassurés que tout le monde, maintenant, a compris que c'est surtout ces groupes supposément hermétiques qui ont fait passer le virus, partout où ils volent, aux classes pauvres qui n'ont pas bougé. On sait qu'ils savent faire des garden parties dans l'entre-soi pour ensuite aller serrer la main du peuple devant les caméras - sinon comment auraient-t-ils pu transmettre le virus? On apprend, sans grand étonnement, que c'est en famille que cela se transmet. Le problème est d'inclure tout le monde, d'en faire une mode accessible. A vrai dire, l'espace publique, dans un traîtement intelligent de ce qui est une situation de maladie chronique, est notre principal atout. Le confinement, dans l'entre-soi, dans les transports publics, est ce qui se révèle le plus contagieux. Quelle drolerie.
Lorsqu'on parle, de manière impossiblement abstraite, du problème de n'être que des rouages dans une commerce internationale qui a pris le pas sur notre autonomie nationale, il faut savoir que le fonctionnariat de la France est également capable de totalement déplacer toute décision qui nous impacte, les mécanismes à l'œuvre s'en foutent de la distance, du lieu et de l'échelle, cela ne change aucunement leur nocivité.
Sans téléphone, en campagne, vous pouvez observer les fonctionnaires dont vous dépendez, qui vivent à côté de chez vous et qui se déplacent à leurs officines chaque jour, ils vous verraient crêver avant de vous saluer. Si vous ne me croyez pas, observez l'attention que l'on prête à la machine dans sa main par rapport à la personne en face de soi. Il est souvent plus sage de conseiller l'usage du téléphoner plutôt que de parler à la personne à vos côtés, si vous voulez vraiment qu'elle vous prête attention. C'est la société du « pas ici, pas maintenant », souvent avec une observation oblique du genre que vous auriez quand même pu noter qu'on est super-occupé au téléphone, à l'ordinateur. Cela se passe au niveau local parce que tout est local. Les gens se retirent parce qu'ils n'ont qu'à se retirer, face à ces indignités.
Mais observons ce qui se passe dans un cadre où les gens marchent ensemble, cueillissent ensemble, transforment, cuisinent et mangent ensemble. On peut observer que la rélocalisation des rapports va de soi. Le fonctionnaire, responsable de la logistique, se trouve, à ce moment-là, face au besoin d'organiser le système d'approvisionnement de ceux qui sont là avec lui, et pas derrière le vitre – un tel peut récupérer telle denrée là-bas - au passage chez lui, un autre se propose pour prendre une commande de pièces nécessaires pour l'atelier vélo qui opère sur place, un autre peut se pointer dans l'équipe qui est actuellement en train de couper les patates, il y a le déplacement des stocks pour la prochaine étape à organiser, pour les mettre dans le lieu de stockage proposé par la mairie, etc.
Tenez, un boulot utile pour un fonctionnaire à ce moment-là serait d'engager les assureurs afin de légitimer l'utilisation de non-fonctionnaires pour, par exemple, "couper les patates", sans poursuite judiciaire. On n'a qu'à se décider – est-ce qu'on veut re-situer nos actes chez nous ou est-ce qu'on veut passer un temps sans fin à parler autour d'une table virtuelle sur la dé-virtualisation, tout cela subventionné par la dette croissante nationale, faite sur le dos des pauvres qui malgré leurs instincts, sont bien obligés de faucher de la forêt vierge pour nous fournir nos aliments de base que nous ne savons plus produire sans polluer la terre - chez nous en plus ?
Ces expressions d'exaspération viennent du fait que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, on a déjà compris, de manière abstraite, la racine de nos problèmes, mais on continue de faire les choses qui nous mènent au désastre, les décisionnaires en premier. Les bacs + 5 qui ont déjà compris n'ont d'autre solution à proposer, paraît-il, que de continuer de parler de tout et de rien, en cercle fermée. Ils ont oublié qu'on ne sait vraiment pas où ils vont avec tout ça. Les gens se trouvent démunis, conditionnés à appuyer sur la manivelle qui les donne des subventions. Au moins les machines ne savent pas exprimer leur condescendance, et l'argent à la main, il parle sans mot dire.
Si les gens au pouvoir ne savent plus parler qu'aux gens comme eux, c'est à cause de cette situation d'impuissance d'autonomie des gens plus sains d'esprit qui n'envisagent pas de s'embrigader dans des parcours qui n'affûtent que leur capacité de « parler ordinateur ». Ce n'est même pas la peine de parler si on n'est pas payé pour – encore moins de penser. On pense pour nous, nous n'avons plus à penser pour nous-mêmes. Les écologistes administrateurs ne sont pas les derniers venus à cette table de l'inaction collective, pour eux la nature est ce qu'ils visitent pour l'admirer – une réserve ou on ne rencontre que des touristes venus en voiture - ou bien le petit jardin qu'ils nourrissent comme passe-temps pour se donner bonne conscience, ou le vélo qu'ils utilisent pour aller au travail - ou à l'aéroport. Le gros de leur vie et de leur revenus se produit grâce au téléphone, à la visioconférence, à l'intérieur dans des milieux chauffés, climatisés, en train de lire et de remplir des liasses de papier virtuel.
Et si on appliquait la même attention et effort à notre engagement avec le monde physique du vivant ? Moi, par exemple, j ne serais pas en train d'écrire sur ordinateur, sinon de parler avec les gens – et de parler des actes concrets immédiats que nous sommes en train de mettre en œuvre. Mais je ne veux vraiment pas parler de l'heuristique des fines distinctions ontologiques qui méritent une analyse repoussée! Vous m'en excuserez.
Lorsqu'il y a les rares « remontées du terrain » des « acteurs » engagés dans le faire, ceux qui assument les responsabilités de plus grande envergure cherchent, comme la main d'œuvre sur un chantier, à approvisionner ceux qui font le travail. Ils ne sont plus les chefs, mais les facilitateurs, réactifs fonctionnellement aux besoins matériels des gens qui font, représentatifs de leurs besoins dans leurs propres collaborations avec d'autres coordinateurs. Mais si plus que la bonne moitié de la population n'y est pas engagée, cela ne fait pas l'affaire, cela fait juste quelques affairés.
L'une des choses que les écologistes oublient de mentionner souvent, c'est que le vrai travail écologique a besoin d'énormément de main d'œuvre humain, qu'il n'y a même pas de machines qui peuvent le faire. Prenons un exemple. L'existence de clôtures électriques partout, qui remplacent les haies – foyers essentiels de biodiversité, ne vient pas de nulle part. Entretenir une haie qui ne produit absolument rien directement pour l'être humain concerné coûte en plus énormément d'heures de travail, de travail dans le détail, du travail intelligent. Ah, le joli bocage ! Oui, mais les touristes, qu'est-ce qu'ils donnent à celui qui l'a fait, le travail ? La nature, pour la plupart d'entre eux, c'est ce qui se fait soi-même, comme par miracle. C'est gratos, ou cela devait l'être, pensent-ils.
L'emploi sur les bords de route est une source massive d'emploi de ceux qu'on appelle des en voie d'« insertion sociale » – ou des « TIGistes ». Je suis poli. Ils ont d'autres noms aussi. Mais l'entretien de haies a besoin d'un travail intelligent – savoir plier les arbres, créer de la densité, favoriser certains mélanges d'essences et beaucoup plus. Tandis que les entreprises qui prennent les TIGistes utilisent des débroussailleuses, des tronçonneuses et des camionnettes pour dévaster des milliers de kilomètres de haie chaque année. Leur manque de savoir faire convertit une opération qui pourrait être d'énorme intérêt écologique en opération hyper-consommatrice d'énergie qui continue d'inculquer des valeurs complètement industrielles sur toute une génération d'ouvriers sans formation.
Tout comme dans la proposition d'emploi massif des restaurateurs écolos, pour rétablir les liens fonctionnels humains d'une société – il y a la réserve qu'il faut qu'il y ait une sensibilité écologique qui conditionne ce processus, il est nécessaire d'aborder la question de la réhabilitation des haies avec circonspection. Tenez, on pourrait même en faire un ministère, juste pour les bords de route, tellement le problème il est vaste, à lui seul! Le ministère des bords de route. Ceux qui sont actuellement en place dans le métier ont des valeurs actives totalement à l'antithèse de l'écologie. Ils ne dépendent pas du tout de la production de biodiversité pour leur pain quotidien, sinon de la mise-à-ras de kilomètres linéaires de végétation. Là où ils sont passés, les adventices les mieux adaptées, les ronces, le balsam d'himalaya, les orties, etc. poussent en profusion, les assurant d'encore plus de travail énergivore dans les courtes années à venir. Ce n'est qu'en ville – là où les clôtures électriques rencontreraient quelques résistances humaines et pas seulement bovines - qu'on commence tout juste à aborder sérieusement la question de la bio-diversité aux bords des routes.
Une manière de considérer la conversion écologique de ce métier serait le suivant. D'abord et avant tout de faire que les équipes qui intègrent ce travail aient des formations préalables ou sur le champs sur la biodiversité, la frugalité énergique, l'utilisation d'outils manuels. Deuxio, qu'ils visent vivre des ressources alimentaires et autres créées aux bords des routes et des chemins qu'ils entretiennent – cela les recentre sur l'intérêt de ce qui s'y trouve. C'est-à-dire le lourd boulot de la détection, de la protection et de la sélection de noyers, châtaigners, cerisiers, aubépines, noisetiers, prunelliers, etc. qui y poussent déjà mais qui sont actuellement fauchés à répétition. Et on fait ceci au bord des centaines de milliers et des millions de kilomètres de route et de chemin, à présent abandonnés à la voiture - l'instrument même de notre déroute climatique. Pour ensuite cueillir, transformer et réaliser la valeur de leurs fruits - et de leurs bois – sans les brûler et sans en faire des palettes. Ce n'est pas un mince défi. La pollution des bords de route est énorme, tant en métaux lourds qu‘en poussière de particules fines également nocives qui se collectent dans le feuillage. Oui c'est un problème. Mais on ne peut pas nier qu'il y a déjà la forme d'une solution, dans les gens qui sont déjà là, déjà financés par l'état.
Est-ce qu'on est vraiment sérieux, je me demande, lorsqu'on parle de la transition écologique, assis sur son banc dans le train qui mène à Strasbourg, en train d'écrire les solutions écologiques de demain, toujours demain ? Le fait de s'engager avec la pollution existante, là où elle est la plus concentrée, là où l'être humain, il passe, n'est-ce pas « une preuve d'amour » ? La SNCF commet des atrocités dans ce sens aussi, l'élagage des bords de chemin de fer continue, mais sur les bords de route la mode est d'élargir le trait toujours plus, la stratégie maintenant est d'éliminer les arbres surplombants, si possible à dix mètres de chaque côté de la route (pour que les voitures « voient » le paysage). Cela donne beaucoup de boulot et de bois pour les machines des TIGistes. Le travail de l'homme est réduit à la destruction de toute végétation qui dépasse 10 centimètres du sol – il est impossible, avec la débroussailleuse, de faire autrement. Il y a un manque de culture et de savoir faire tellement grossiers dans les normes de cette profession que ce n'est même pas la peine d'en parler avec eux. Qui, de sincèrement écologique, ferait ce métier, sans de réels besoins d'emploi ? Pour les « CDIs », la crème de la profession, la rentabilisation de l'investissement énorme dans les tracteurs faucheurs qui réduisent la dépendance sur la main d'œuvre est ce qui compte. Ce sont ceux qui dépendent directement du pouvoir public centralisé - que ce soit de la communauté de communes, des conseils généraux ou régionaux. La plupart des conversations tournent autours de l'entretien des machines et l'existence des subventions – tandis qu'à plus basse échelle, il n'est pas facile d'entrer en contact avec la nature lorsqu'on passe des heures entières enveloppé de vêtements de sécurité en fluo avec des casques protecteurs et une machine tellement bruyante qu'elle coupe tout contact avec cette nature - et avec ses camarades de travail.
Si les élagueurs étaient employés à plier les haies, il n'y aurait guère de problème avec des arbres surplombants. Si le cœur de métier était écologique, les particuliers, au lieu de suivre les normes de l'agriculture à taille de tracteur ou de débroussailleuse (ce n'est pas vraiment la taille qu'ils pratiquent, mais plutôt l'arrachage ou la pulverisation), sauraient créer des jardins détaillés, biodivers, qui ne consistent pas seulement en pelouse débroussaillée, deux ou trois arbres parsemés au milieu et un lopin de terre avec quelques oignons et des patates, cassé chaque année au motoculteur. Ce sont en plus des techniques totalement dépassées par les connaissances actuelles en la matière – où est donc la transmission de savoir ?
La tradition et la fierté, pour les cheminots d'antan, s'étalait devant les voyageurs, dans les jardins au bord des rails de chaque petite gare et maison. C'était de la publicité gratuite pour le savoir faire rural "fait main". C'était des jardins, pas des « exploitations » à but lucratif - ceci dit ils étaient plusieurs fois plus productifs par mètre carré que n'importe quelle entreprise industrielle agricole aujord'hui, et ceci sans subvention – au contraire c'est parce que les cheminots n'étaient pas royalement payés qu'ils s'investissaient autant dans le jardinage.
Si les « décideurs » au niveau national et européen ne savent pas mettre des écologistes qui savent cultiver sur le terrain, pour expliquer les nouvelles normes par les actes, comment veulent ils qu'on les croie ? Avec leurs téléphones et leurs ordinateurs portables, ils pourraient même donner l'exemple, en y allant eux-mêmes, en collectif. Cela ferait "événement". Les élites des milieux ruraux sont actuellement totalement dominées par des pratiquants de la « science » du productivisme industriel. L'argent public ne cesse de les raffermir dans leur dogmatisme. Est-ce que les politiciens écologistes osent montrer le contre-exemple ? Ils n'ont rien à perdre, on ne vote pas écologiste en campagne – il faut être riche pour y trouver sa place et la seule manière de remédier à cette situation électorale, c'est de rendre possible un repeuplement écologique, également de gens de classe populaire, susceptibles de ne pas voter à l'extrême ou au « centre » droite et de bien vouloir travailler pour créer une campagne à la taille de leurs rèves.
Mais dans la vie réelle, tout comme en Angleterre, ceux qui ont tendance à repeupler la campagne dans les conditions actuelles sont plutôt des libéraux riches et donnés à l'entre-soi, des gens de la gauche caviar qui a échouée, ces longues années, à faire épanouir l'écologie de masse, justement parce qu'ils pensent surtout à leurs propres libertés et pas à celles des autres, au moins en ce qui concerne leurs préférences électorales et leurs vies privées réelles. Il y a même pire, les plus « écologistes » sont ceux qui font le plus la navette entre leurs boulots « socialement validés » ailleurs et leurs « petits paradis perdus » à la campagne. Ils ont tous des voitures, identifiez l'erreur. Tout comme les députés qui vivent entre Paris, Strasbourg, Luxembourg, Bruxelles … et les arrière-pays et les arrières-villes où ils ont étés parachutés pour se faire élire. Il faut avoir une très grosse tête pour penser qu'on peut sortir indemne d'une telle programmation sociale, soi-même, par auto-persuasion. Il est évident que dans ce cas, on se sent bien obligé de travailler avec et à travers les élites locales qui ont les réseaux de contacts qu'on ne peut pas entretenir et qu'on apprend, à force, l'impossibilité de l'engagement social sur la plupart de la surface du métropole.
Si, en ville, il y a plus d'espoir, (on y vie, on y travaille et au moins dans sa tête sociale c'est un endroit familier) il est logique de penser à réinvestir la campagne à partir des villes, de rentrer en contact direct avec la nature plutôt que d'y ériger des réserves qui la dépeuplent encore plus. On ne peut pas séparer humain et nature, c'est (presque) tout ce qui nous reste!