janvier 2021
Nous nous trouvons tous face à des bouleversements systémiques du monde connu jusqu’alors. Ces secousses profondes nécessitent des changements de comportement sociétaux à leurs mesure.
Qui dit « société » dit « infrastructure ». Dans la campagne, conservatrice de par sa nature, nous avons l’avantage que rien, ou presque rien, n’a été fait jusqu’à maintenant pour changer de modèle. La production locale de fruits et légumes en quantité suffisante pour fournir la région n’a guère commencé. En Ariège, le modèle pastoral domine encore.
Citation de « Le Journal d'Ici » fait à Massat le 27 mars 2020 :
en 2010 le Massatois comprend 2268 ha en SAU (Surface Agricole Utilisée), dont 2248 ha en herbe à bétail, 10 ha en terres arables et 5 ha en cultures pérennes (fruits).
Le nouveau conseiller municipal vert à Massat, Andy Gründel, a lancé un projet personnel de maraîchage (2020), de transformation et de vente de ses produits (bio) sur un demi-hectare (5000m²). Les projections de revenus annuels estimés, en fruits et légumes seuls, sans inclure la valeur ajoutée de la transformation, sont de l’ordre de 20 000 euros. Le travail est très largement humain et manuel.
A Saint Lizier, pendant quelques années (2010-15), il a existé un projet connu localement sous le nom de « Terres de Cocagne » qui a servi pour embaucher des gens dans une entreprise similaire. A la suite, dans l’absence de suivi de la subvention de ces emplois, les jardins ont été repris par l’un des meneurs du projet, à titre privé de nouveau.
Il est proposé ici que vu les potentiels profits énoncés ci-dessus et les changements socio-politiques en cours, avec un élan manifeste vers la relocalisation et le « Made in France », le problème qui nous fait face est :
« comment former, héberger et soutenir l’emploi des plusieurs personnes dont il y a besoin pour faire fructifier ce secteur dans le futur immédiat, sans que la remède ne soit pire (en termes de bio-diversité et de gazes à effets de serre) que le problème auquel elle est adressée ? »
Il est proposé ici que les ingrédients de base de la solution sont dynamiques – il faut que les jardiniers soient « mobiles » et ceci avec une consommation d’énergie par personne qui correspond à l’empreinte écologique vastement réduite qui nous est absolument nécessaire. Des ouvriers horticulturels non seulement « auto »-mobiles, mais avec une mobilité en résonance avec les besoins et à l’échelle du pays qu’ils parcourent.
Et ils peuvent vivre, au passage, dans et autour des jardins qu’ils entretiennent, en apprenant les techniques d’écoconstruction qui permettent de maintenir une profile énergique basse. La décision de passer à l’acte collectif est en soi pédagogique, puisqu’il engendre une réflexion concrétisée, appliquée. Ceux qui participent à ces entreprises peuvent aussi entretenir des jardins linéaires au bord des routes et des chemins publics qu’ils parcourent, et donner un essor aux activités naissantes d’entretien et de production des transports à vélo et aux gîtes et ateliers d’étape qui leurs seront nécessaires. Tout est possible lorsqu’on adapte les moyens de transport aux aptitudes et efficiences humaines plutôt que de faire plier l’humain aux exigences des machines hyperconsommatrices. Le défi en campagne est grand – au moins en apparence - et la réussite face à ce défi sera d’autant plus appréciée et moralement stimulante à cette époque critique où nous avons tant besoin de soutenance morale.
Ce tourisme fonctionnel, productif, peut remplacer le tourisme dépensier et consommateur auquel nos stratégies étaient adaptées avant le Covid. Il permet de donner de l’emploi et du sens aux vies des jeunes actifs, surtout concentrés dans les banlieues des grandes villes comme Toulouse, qui se trouvent actuellement face à la pénurie et au désœuvrement massif, sans porte de sortie. La frugalité de la vie de travail proposée permet aux employés d’épargner beaucoup plus que s’ils étaient obligés d’entretenir véhicules et maisons privées sur place. Cette possibilité de réduction des frais de nos vies, plutôt que la hausse de nos salaires, est une possible solution basée sur une vérité banale dans la gestion du bilan de toute entreprise. Si on est accablé de dettes pour acheter sa voiture, si on ne mange que des pâtes pour la fournir en essence et en assurance, on ne vit pas mieux, c’est évident. Les solutions existent au niveau d’une infrastructure totalement remodelée.
Pour que ce soit clair, ces propositions sont faites pour viser une synthèse ville-campagne vivable et avantageuse à toutes les parties concernées. Ce que certains appellent déjà « la Guerre écologique » se mène sur toute la surface de la terre – et il est d’une importance indéniable de donner des exemples de coopération à bénéfice mutuelle à des populations qui peuvent sinon se retrouver dans des positions de repli sur soi ou de sélectivité élitiste.
A ce but, il est nécessaire de concevoir des villes, des communes – des communautés de communes comme des rouages dans l’entreprise d’un monde en mouvement et pas comme des entités politico-sociaux statiques. C’est une question d’intérêt mutuel qui dépasse très largement les positionnements politiques conventionnels.
Le paradoxe qui nous fait face est que le tout (l’infrastructure) est tout autre que la somme des parts qui l’intègrent (nos vies individualisées et en groupe d’affinité). Nous avons besoin, surtout là où les distances sont plus grandes (en campagne) et la consommation par personne par conséquence plus lourde, de nous pencher sur ces problèmes de l’entre-nous (l’infrastructure) et non pas sur la vie individualisée et virtualisée. Il y a besoin de chiffrer notre consommation moyenne réelle, plutôt que de faire des gestes symboliques écologiques alors que le gros de nos biens de consommation vient de loin, à vaste coût énergique, induisant des dépendances sur les machines et sur l’infrastructure industrielle qui dépassent très largement celles des habitants urbains, eux qui ne sont pas entourés de nature dont ils pourraient vivre.
Il est vrai que l’attrait de la vie « dans la nature » assume des proportions tout-à-fait démesurées de nos jours et que par les lois du marché même, ceci met une prime sur l’occupation des territoires ruraux qui exacerbe la tendance à l’exclusion des pauvres de ces mêmes zones rurales. L’exemple donné – d’une vie de riche – est inatteignable pour la vaste majorité de nos concitoyens. Cette tension démographique est aussi une tension démocratique – les couches plus pauvres qui ne résident pas en zone rurale ne votent pas en zone rurale et n’ont pas d’intérêt personnel dans sa survivance – mais elles sont majoritaires dans le pays.
Cela fait du bon sens d’évoluer des plans d’accueil et d’accommodation en bon ordre des gens qui veulent apprendre l’écologie là où cela se passe, sur la vaste majorité de la surface du territoire, avant que cela ne devienne un péri-urbain irrépressible et ingérable.
Il y a déjà des partenariats potentiels à exploiter. Pendant la période de déconfinement relatif, pendant l’été de 2020, la ville de Toulouse a déjà envoyé beaucoup de monde dans les anciennes colonies de vacances restantes - à Aulus les Bains, par exemple. Le Maire de Toulouse a aussi chapeauté la consultation sur un plan d’urbanisation pour la commune d’Allières, prés de la Bastide de Sérou. Il ne manque ni d’intérêt, ni de liaison, entre nos grandes conurbations et les département qui les entourent, à l’échelle de l’élite administrative et politique. L’aménagement du territoire est un sujet qui leur est tout-à-fait familier.
L’appel d’air qui s’appelle Airbus, avec dans son train l’aéro-spatial et les plusieurs industries annexes, ont permis au Sud-Ouest de la France d’être en relative aisance économique pendant les dernières décennies, par rapport au reste de la France. La chimère de la croissance basée exclusivement sur le modèle industriel mondialisé a paru plausible, d’autant plus que la demande de services (le gros des autres emplois disponibles) est issue des employés dans ce secteur florissant.
Il faut savoir que depuis la venue du Covid, le chiffre d’affaires d’Airbus s’est réduit à un dixième du chiffre précédent et que cette réduction est inouïe, elle impacte de fonte en comble l’économie d’au moins deux régions du Sud-Ouest. Un autre modèle économique est non seulement nécessaire mais essentiel dorénavant – ce qui fait que les exigences écologiques auxquelles nous avons étés si longtemps volontairement aveugles, dans ce pays « sous-développé » sauf dans les industries de pointe, hyper-consommatrices d’énergie fossile, coïncident maintenant avec nos intérêts économiques.
Du point de vu de notre survie collective et donc individuelle, c’est une opportunité à ne pas rater. Notre campagne, notre région, n’étant pas encore totalement détruite, n’ayant pas encore subie de plein fouet les effets dévastateurs du changement climatique, a une latence cumulée et une capacité énorme de progrès, justement parce que son usage comme terrain de jeu et de repos pour les travailleurs de ces industries technologiques n’est plus à l’ordre du jour.
A Moulis, le CNRS vient de réaliser un investissement de plusieurs millions d’euros avec la possibilité d’accommoder jusqu’à 100 nouveaux chercheurs. La conversion à des entreprises bio-constructives des ingénieurs auparavant dédiés à la croissance d’industries qui ne pouvaient qu’accélérer la destruction de note biosphère est tout-à-fait faisable – elle est déjà en cours. Nous avons, en train d’arriver dans le Couserans, le matériel humain nécessaire à cette tâche. Les problèmes de rigidité hiérarchique du CNRS ont été récemment soulignés – l’existence de cette succursale renaissante dans le pays des libres penseurs est de bonne augure, s’il y a suffisamment d’engagement et de perspectives donnés au niveau local.
L’art de ce mouvement et de commencer à rouler – ou à marcher – déjà, sans attendre que les autres se mettent en branle – c’est un effet d’entraînement et d’action physiques qui font montre de faisabilité et qui ouvrent les esprits fermés. Pour cela, la démocratie participative est la condition même qui rend la démocratie représentative.