hiver 2020

Le contre-coup de la mer fouettarde
Courbé

Je me réveille à 7h moins 10. Silence. Quelques étoiles. Le soleil se lève à 7.31. J’allume un petit feu de cuisine, la radio. Peu après 7h, un bruit étrange, un peu de mouvement dans le branchage. Et le bruit. C’est comme un TGV, et bientôt plusieurs TGVs et je vois le grand chêne FLÉCHIR vers l’ouest – ce qui n’arrive jamais – et LA RAFALE est sur nous, et des craquements d’arbres qui se cassent comme des pistolets partout.

Ce que je viens d’expérimenter est un phénomène météorologique qui s’avérera de plus en plus fréquent. Dans l’Ariège on est un peu à l’Est du centre des Pyrénées. L’aube touche d’abord à l’Est, mais nous sommes encore sous le coup du refroidissement matinal – la différence de pression entre les terres touchées par les premières lueurs du soleil et celles encore en refroidissement à l’intérieur est maximal. Des deux littoraux, méditerranéen et atlantique après, les fronts de vent courent pour se rencontrer au milieu de la chaîne, mais nous ne sommes pas au milieu, mais un peu à l’Est – côté aube. Et la météo le dit : ciel dégagé, en région côtière méditerranéenne et dans l’Est de la Corse. Et il fait sec – et même chaud – on est quand même au début mars …

Tous les arbres se construisent ici pour contester les vents prédominants – de l’Ouest. Et ils n’ont même pas eu le temps de se raidir – là sur le chemin de retour en vélo, partout je vois des arbres brisés – les plus grands et ceux en lisière, là où on fait les travaux, là où il y a eu de la coupe, au bord des routes, laissant les troncs des grands exposés. Ces arbres sont devenus stupides – mais ce n’est pas de leur faute – et de toute façon – et de toute façon, c’est leur rôle de se sacrifier pur la nouvelle génération qu’ils maternent. La mer fouettarde prend tout. Vive les haies !

Commentaire/analyse

Ce texte a été écrit sur place, sous le coup de l’expérience. On a du mal à apprécier pleinement un phénomène écologique sans être dedans – touché viscéralement par le vécu, à mon avis. Plus loin sur la route,dans la tempête, j’étais en train de regarder un grand et beau sapin qui s’est déraciné et cassé en deux, emportant un autre conifère derrière lui, sur une aire de pique-nique. J’ai vu des cantonniers arriver – trois, dans un camion, qui se sont arrêtés pour observer les dégâts. L’un des trois est sorti, en frissonnant.

L’arbre de plantation « scénique » est tombé, en effet, parce que ses racines, moins profondes que celles des arbres caduques, n’avaient prise que sur du gravier malengoudronné – et parce que l’arbre, plus élancé que les autres, portait ses aiguilles à une saison où les adventices du coin étaient nus, ainsi offrant une surface optimale au vent.

« C’est bien coincé, vous n’allez pas le bouger sans treuil » je leur dis. « Il nous faut le tractopelle » il répond, et puis « il fait trop froid pour rester ici dehors » et il monte dans son camion chauffé, sans corde en acier et sans treuil. Actuellement, on déblaie les lisières des routes à 10 à 20 mètres de chaque côté, « pour ouvrir le paysage », laissant des troncs de dix à vingt mètres exposés au vents. On « nettoie » les fossés avec des grosses machines, on roule sur le talus,laissant des hématomes dans le sol, les écoulements d’eaux boueuses se creusent quand elles ne se bloquent pas, les routes s’affaissent …

Et partout, les arbres tombent.

Vous comprenez, j’en ai un peu marre – ils sont payés pour ça … Peu à peu, malgré eux, ils commencent à faire des élagages qui commencent à ressembler à des haies, à fur et à mesure que les arbres de forêt qu’ils ont exposé en lisière tombent sur la route – ils sont bien obligés … peut-être ils ont oublié qu’un arbre, ça pousse ...