lundi 1 mars 2021

Analyse critique :
Intelligence Collective par Joseph Henrich;
Quelles sciences pour le monde à venir? par le Conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot

Petit Robert 1977

heuristique (1859 : du grec heuriskein « trouver »). Didact. Adjectif : qui sert à la découverte. Nom féminin : partie de la science qui a pour objet la découverte des faits.

heur (heûr et aür vers 1160 ; latin agurium, augurium « présage »). vx. Bonne fortune

Dans la section « abréviations »

didact. - didactique : mot ou emploi qui n’existe que dans la langue savante (livres d’étude, etc.) et non dans la langue parlée ordinaire

vx. - vieux (mot, sens ou emploi de l’ancienne langue, incompréhensible ou peu compréhensible de nos jours et jamais employé, sauf par effet de style : archaïsme).

Sérendipité : tentons ma définition : «par heureuse chance, le fait de tomber sur quelque chose ou quelque compréhension (appréhension)

Définition wiktionnaire : Fait de faire une découverte par hasard et par sagacité alors que l’on cherchait autre chose.

L’origine est « Serendip » un nom pour le Ceylan, 8ième siècle.

Il y a « de bon augure » aussi, évidemment. La chance de tomber sur quelque chose, comme cette piste de sens dans les dictionnaires, est multipliée par le fait de bouger, de croiser des choses sur son chemin, des choses peu-pré-choisies par d’autres, de manière « autonome ».

Je suis en train de lire des livres assez difficiles à avaler. L’Intelligence Collective (Joseph Henrich, de Harvard, 2016) et Quelles sciences pour le monde à venir ? par le Conseil Scientifique de la Fondation Nicholas Hulot, octobre 2020.

Par rapport à la catastrophe écologique en cours, le sujet est « pourquoi est-ce que l’on n’arrive pas à agir en fonction et à la mesure du problème ? » La même question se pose sur l'épidémie de la Covid, qui se présente comme une facette du problème majeure, de manière claire et éducative.

Deux facteurs se révèlent pertinents. Dans les faits, la population des pays riches ou qui risquent de le devenir est massivement hostile. Même si elle en fait des mauvaises rêves oraculaires chaque nuit du confinement, cette population fait beaucoup pour ne pas basculer dans un autre monde écologique. Les solutions qu'on nous propose font avec cette réalité humaine plus qu'avec cette réalité physique envers laquelle on avance, inexorablement. Les solutions plus "brise-modèle" sont encore "tabous". En quelque sorte nous creusons vigoureusement le trou dans lequel nous voulons enfoncer nos têtes d'autruche. On ne peut pas dire (pense-t-on) ni faire ce qu’il faut pour s'en sortir – toujours à cause des autres - même si on ne le fait pas soi-même, par "pragmatisme" et avec résignation (comme "The Walrus and the Carpenter", Lewis Carrol). Il y a besoin de persuasion, pas d’autoritarisme, dit-on.

La teneur des discussions des experts et des portes-paroles à la média est de dire qu’il y a des méchants (multinationales, super-riches, néo-libéraux) qui cassent les pieds de ceux qui veulent faire le bien et que la société est trop égoïste et conservatrice pour accepter les mesures nécessaires (identifiez le non-dit). Des attaques frontales sur la mode de vie de la majorité (donner honte) ne sont pas tolérées et sont supposément contra-productives. Il s'agit sans doute de la honte quand même (salut Greta).

Ces dires non-dits masquent la non-réussite des stratégies "soft power" – et cela depuis des années – tandis que la législation qui est passée nous lie pieds et poings dès que nous tentons des expériences sociales écologiques de petite ou de grande envergure. Sinon, elle tente de les casser. L'état a tendance à produire la précarité. En tous cas, merci m. Sarkozy, pour avoir fait des conneries assez grosses pour être puni [à voir, ne meurs pas avant comme Chirac]. Au pire, on a mis a dos un assez gros segment de la population pour qu'elle soutienne des vraies initiatives écologiques, le temps venu.

La Fondation Nicholas Hulot, ou ses scientifiques au moins, reconnaissent que pour être convaincants ceux qui proposent des solutions doivent les mettre en pratique eux-mêmes – c’est le moins qu’un scientifique puisse faire, d’ailleurs, sinon il n’a ni expérience, ni preuves. Elle reconnaît aussi que c’est notre culture même qui doit changer, être réinventée. Comme ils ne pratiquent pas eux-mêmes des modes de vie radicalement différentes, ils ne proposent pas des modes de vie radicalement différentes (oui, je sais que c’est incohérent, mais c'est comme ça).

Dans la pratique, donc, la fondation ne soutient pas des pratiques et des projets pilotes de société nouvelle sinon se redéfinit comme fin analyste qui ne fait rien. Elle ne propose pas de solutions radicalement différentes et ceux qui l’intègrent ne proposent que des changements quantitatives – sous l’étiquette « développement durable » qui ne s’adressent guère qu’au problème du climat, alors que le problème de l’extinction du vivant, dont nous, crée le problème du réchauffement climatique, plutôt que d’en résulter (attention : cause suivie d’effet).

Pour donner un exemple du cadre de pensée « scientiste » des sciences dures qui régit sur l’analyse (malgré les protestations du contraire et à l’instar de l’analyse des marchands de confusion critiqués dans l’œuvre), la démographie, qui est le résultat de nos choix sociaux, est l’un des problèmes matériels absolument critiques à résoudre. Est-ce que c’est dans le domaine de la science ? Mais bien sûr ! Le sujet le plus non-traité dans l’œuvre : « combien de morts humains, à quelle échéance et comment ? »

Repli communautaire

Sommaire : la discrimination sociale est transsectionnelle – elle ne peut qu’induire des boucles de retro-action. Si la population cesse d’être socialement mobile, comme dans le cas du confinement Covid et de l’utilisation des technologies qui nous détournent de la place publique (voitures, portables, etc.), elle perd rapidement sa compétence sociale collective et se replie sur des cercles réduits. C’est déjà le cas à la campagne, où il n’est plus possible de vivre en tant qu’être humain sans voiture, portable, argent (au diable les droits de l'humain sans prothèse), à moins d’être le dépendant de quelqu’un de riche (fonctionnaire, cadre d'entreprise zombie) ou de l’état (agriculteur). Les services publiques fonctionnent avec beaucoup de peine, moyennant l’emploi des dites technologies. La société bulle se raffermit.

Quelques exemples réels d'interactions communautaires.

- Dans un banlieue principalement noire d'origine antillaise en R.U., tous les magasins sont tenus par des personnes d’origine musulmane pakistanaise.

- Un petit enfant allemand a tendance à être réceptif aux enseignements qui viennent de personnes qui parlent sa langue maternelle, voire son dialecte, son accent. Il est punitif envers les transgresseurs du code de son groupe social et tolérant envers les faux pas des étrangers (Intelligence Collective, œuvre citée). (Un petit enfant anglais a plutôt tendance à l’envers, ...)

- Dans les stations scientifiques de l’Antarctique, le mélange de personnel est international, ce qui est plutôt bien toléré, même stimulant, selon témoin.

Cet exemple illustre les contradictions implicites dans l’analyse de Henrich (Intelligence Collective). Si l'on peut se sentir sécurisé par des gens qui parlent sa langue, avec son accent, on peut aussi se sentir insécurisé. Cela dépend des expériences vécues. Si le passage de memes (« gènes » culturelles : "mimétiques") est plus assuré, plus rapide et plus généralisé, plus le groupe d‘individus qui se communique est grand et varié (comme il le dit), à quoi bon extrapoler des théories basées sur des études des petites communautés isolées ou des enfants ? Déjà il y a des questions de spécialisation "relais" ou intermédiaire culturel (exemple: interprète) qui s'interposent.

La non-familiarité, le plaisir de la découverte, ces facteurs peuvent être des facteurs d’attirance. L’innovation, la curiosité, la singularité, n’est-pas de cela qu’on parle, lorsqu’on parle de l’intelligence collective comme phénomène évolutionnaire ? Il est plus difficile de mentir que d’être sincère, Henrich déduit des expériences citées dans le livre et des études du cerveau. Mais justement, ce sont les anomalies, les innovations, les néologismes qui font signe d’alerte et qui provoquent l’intérêt ! Certaines nations ont tendance à raconter l’histoire du progrès en n’utilisant que des exemples qui viennent de leurs propres pays. D’autres citent les vrais inventeurs. Lesquels de ces pays sont les plus ouverts aux découvertes ? Si on compare l’anglais au français, prenons le mot « banane » comme exemple ; c’est « banana » en anglais – on n’est pas obligé, en Angleterre, d’angliciser chaque mot – si on l’écrit de travers, c’est souvent parce qu’on a du mal à le prononcer, pas parce qu’on cherche à le faire « sien ». On est curieux de la provenance, on n’essaie pas de l’assimiler à chaque reprise.

En tournant au livre de la Fondation Nicholas Hulot, je cite une phrase (p.214) où on parle de l'attitude des scientifiques en France envers le public. « Plutôt que d’instaurer un dialogue avec lui, l’enjeu est d’éduquer ce public indifférencié et passif en « vulgarisant » les connaissances scientifiques. » Et comment ! En 2002-3 j’ai assisté à une conférence de la CNRS à l’université Lyon II sur le sujet des bars de la science ». J’étais invité en tant que représentant de « Café Scientifique » - une initiative totalement indépendante anglaise qui visait la « mise en cause » de la science dans une atmosphère informelle, en partie calquée sur notre imaginaire des « cafés philos » de la rive gauche à Paris dans les années 1960-70. Les conférenciers français, tous des professionnels des sciences dures (Physique) financés par l’état, parlaient de « la vulgarisation de la science ». Je les écoutais avec un étonnement grandissant. Avec le mot "vulgaire" c'était déjà très mal parti. Ils ne voulaient absolument pas écouter ce que j’aurais eu à dire là-dessus, bien sûr.

Et on ne peut pas dire que l’Angleterre n’a pas de culture scientifique. Dans notre café, qui ne cessait de produire des rejetons partout, nous avions toute sorte de scientifique célèbre qui voulait passer pour parler avec des gens intéressés par la science, des gens aux frontières de la science comme passion plus que métier. Les bars de science en France galéraient, malgré leurs subventions – ce qui ne me paraissait pas étonnant si leur objectif était d’expliquer, de manière condescendante, ce qu'était la science, sans écouter personne. Nous non – même pas du tout, même pas les scientifiques – c’étaient souvent des lanceurs d’alerte qui avaient des graves préoccupations sur certaines questions. Ils voulaient comprendre et être compris, en général. Par exemple, des gens qui étaient en train de découvrir que l’énorme univers de l’ADN « junk » n’était pas « junk » ou qui mettaient en cause les effets du Prozac (c'est comme le Ritalin) sur certaines populations.

Quand je lis le livre des scientifiques de la Fondation Nicholas Hulot, … comment dire, ... je vois que cela n'a guère changé. La tour d’ivoire, le mépris de classe, tout est là encore. Il n’est pas suffisant, dans la conjoncture actuelle, d’attendre que le modèle s’effondre – il faut s’allier avec des confrères et sœurs pour représenter un vrai pôle d’expression des scientifiques et de non-scientifiques innovants – et peut-être tout simplement casser – oui « casser » le pouvoir monolithique de la CNRS. Surtout faire que les bio-sciences, les sciences humaines et les expériences d'immersion fassent partie intégrante de cette « Broad Church », cela devient juste … absurde de ne pas comprendre cela. Si on ne fait pas attention, on va constater, après coup, que la seule science innovante est en train d'être pratiquée par des "profanes".

Paradoxes

Dans les circonstances du confinement et du couvre-feu, c’est la libre-association physique qui est réprimable, alors que la solidarité collective devient très importante. La virtualisation de la communication assez directe qui s'y substitue commence à faire substance. Malgré cette aubaine, on cesse de parler du sort des laissés pour compte, se concentrant surtout sur des grands groupes faciles à identifier et institutionnellement encadrés – enfants à l’école, vieux en EHPAD, étudiants à l’université, … en fait le journalisme ne sait pas accommoder les individus sauf en termes de représentants de l’un ou de l’autre des groupes cibles, sa volupté de catégorisation chiffrée induisant une adaptation à ce conformisme-là. C’est pour dire, la média et les sciences sociales ont tendance à inventer la réalité des discriminations par groupe - il y a les a-groupaux aussi, vous savez? Il est difficile ensuite de dire qu’il y a des lobbies … il n’y en auraient pas si on ne les confectionnait pas, conceptuellement, à tout va.

Dans la première et la deuxième guerres mondiales, l’unité (le patriotisme) et l’esprit de corps ont été des valeurs exaltées. Il reste que les lanceurs de la Résistance en France ne venaient pas de la société en général, sinon des groupes ciblés et persécutés par les Nazis et les forces de la France occupée – juifs, communistes et syndicalistes pour la plupart. Cela a pris deux ans pour s’élargir aux « français de souche ». Qui encaisse? Qui résiste?

A la fin de la première guerre mondiale, avec ce grand brassage de gens en transit et de retour de partout sur la planète, la grippe dite « espagnole » a tué presque autant de monde que la guerre elle-même. Dans la deuxième guerre mondiale, la santé physique et mentale de la population britannique a sensiblement amélioré – à cause des « privations » et du niveau d'engagement physique nécessaires, si l’on veut, un genre de corticoïdité générale. Suite à la première et à la deuxième guerres mondiales, des institutions inclusives visant la paix et la coopération mondiales ont été créées, basées sur des concepts de droits et de dignités humains absolus, sans distinctions de race, de religion, etc. L’accélération du développement des mises en œuvre des idées est démontrée par les missions lunaires, le savoir-faire de la solidarité induit par « la guerre » a continué d’atteindre des pics de progrès dans les décennies après sa fin.

Je commente le livre L’Intelligence Collective (œuvre citée, publié en 2016) parce que les idées qu’il contient peuvent avoir une forte influence sur l’opinion des preneurs de décisions dans des positions de pouvoir politique et sociale, pour le bien et pour le mal.

Résumé (abstract)Intelligence Collective

Dans l'ordre, bien sûr, étant donné que je viens de le commenter, indirectement! Le livre prend des exemples de ce que font des petits enfants et des petites tribus non-civilisées pour illustrer sa thèse, que les êtres humains ne sont pas plus intelligents au niveau du raisonnement pur que d’autres animaux, individuellement, mais qu’ils ont des spécificités, distinctes des autres animaux, qui font qu’ils vont enregistrer, reproduire et appliquer des normes sociales, même contre la raison apparente. C’est leur mimétisme, leur soumission sociale (domestication) qui est leur qualité distinctive, au dépens de leur intelligence, supposément. Le « prestige » est séparé de « la dominance » - c’est-à-dire, le statut social d’un individu dépendra plus de son taux de popularité et intégration sociale que de sa « dominance » physique, ce qui fera qu’on le suivra (et ses opinions) même si rationnellement on pourrait savoir qu’elles ne sont pas fondées. Par exemple, on va suivre tous les pas d'une rite ou une danse, sans discriminer celles qui sont vraiment adressées à une fin identifiable - au contraire des chimpanzés.

L’hypothèse qui sous-tend la thèse est que les êtres humains ont commencé leur évolution dans des groupes relativement petits ou dans des organigrammes tribales composées de petits groupes. Pour parvenir à une gestion de grandes populations, on a commencé donc avec les outils affûtés à l’usage de petites populations, entre eux et en lien direct personnel. Cette « domestication » culturelle a forcé l’évolution de nos cerveaux dans un sens social, plutôt que dans le sens que nous soyons individuellement plus « performants » vis-à-vis nos concurrents humains, sauf dans le secteur de l’« obéissance » (soumission) à des règles d’association sociale. L’importance de la thèse dans le contexte présent est qu’elle a tendance à miner notre confiance dans notre capacité à résoudre nos problèmes collectifs de manière bien raisonnée, donnant plutôt des outils aux manipulateurs de l’opinion, générant la confusion et le syndrome de la post-vérité. Ce thème est courant dans le monde scientifique. Il peut normaliser l’expectation de malhonnêteté. Henrich paraît démontrer que les humains ont cependant plutôt tendance à être honnêtes, ce qui est moins coûteux cognitivement et socialement, mais que cette "honnêteté" se détermine par référence aux normes socio-culturelles plutôt que par rapport à la vérité concrète. Exemple qui me vient à l'esprit - l'ordalie (époque dite 'féodale').

Critique Intelligence Collective

Il se peut que la thèse, comme celles de Freud, a ses mérites mais qu’elle est mal-barrée dans sa spécificité, faute de connaissances étoffées et pointues. Il peut très bien continuer de coexister des trait parallèles et complémentaires dans le sein d’une même population. Il peut d’ailleurs se développer des conventions « antidotes » plus puissantes que l’obéissance aveugle aux conventions fafolles – c’est ce que j’essaie de démontrer plus haut. Le conformisme culturel est un outil de sélection évolutionnaire puissant, mais à double tranchant. Il n’y a pas grand-chose qui interdit l’idée de la massification des populations humaines dans le lointain passé, non plus, qu’ils soient nomades ou sédentaires, ce qui rend moins plausible l’idée que l’on peut prouver des traits culturels déterminants « innées » en observant des cultures « vierges » de taille mineure. Comment en extrapoler des caractéristiques culturelles universelles de ces dénominateurs communs à l’échelle individuelle, ce ne sont que des analogies ? Il y a surtout une sous-estimation « méprisante » de l’intelligence adaptative dans des cultures diverses – par exemple pour une culture très nomade, la pauvreté en biens est une richesse en mobilité adaptative – pour les animaux cette richesse interactive avec l’environnement « crée » l’intelligence qui manque souvent aux sédentaires sociaux.

En partie mes critiques sont logiqement injustes - Joseph Henrich tente de montrer que les mécanismes de l'évolution culturelle existent, que c'est ces mécanismes qui travaillent notre évolution génétique et notre biologie, plus qu'on a voulu l'admettre. Soit. Cela peut rajouter de la rigueur explicative. Il peut aussi limiter notre confiance collective dans nos capacités autonomes, comme rouages dans cette machine sociale infernale et aveugle, dominée par des résultats chiffrés. Il me semble, cependant, que cette approche "numérique" vient avec notre jouissance dans le monde des statistiques computationnelles - c'est tout frais, c'est une mode. La démocratie représentative est également sous la régie de simples chiffres, en apparence. Ce n'est cependant qu'une angle sur la réalité du monde.

Dans une publication sur les meutes de chiens et le danger qu'ils représentent, le conseil est donné qu'ils n'attaqueront jamais deux personnes - c'est déjà une "meute" humaine pour eux. Dans la plupart des mouvements sociaux, il suffit souvent de deux ou trois personnes résolues au début pour lancer un effet "boule de neige". Dans la "science" de la gestion, on conseille de faire travailler en groupes de 5 à 8 personnes. En dessous, on est trop exposé à la perte d'individus clés à l'entreprise. Au-dessus, cela devient compliqué de gérer l'ensemble san frais administratives trop lourdes. Il y a peut-être des bonnes raisons pour lesquelles les animaux n'ont pas intégré la capacité de compter dans leur "boîte à outils" cogntif. Pour utiliser un outil cognitif, il faut déjà que cela éclaire plutôt que d'obscurcir l'analyse d'une situation agissante.

L’idée qu’il y a des catégories du vivant sociales et des catégories non-sociales est questionnable. Plusieurs espèces peuvent basculer d’un état à l’autre, dans toutes les catégories, selon le cadre. La reproduction et la prédation sont des actes sociaux communs à tous les mortels, parfois en fin de vie (pieuvres, araignées).

Les criquets et les flamants roses peuvent former des vastes communautés, sans être équipés des traits culturels humains. Les invasions des hordes nomades mongoles (Genghis Khan), en Chine ou en Europe, ont déployé des masses d’êtres humains et trouvent une origine dans les pulsations démographiques dans les steppes de l’Asie Centrale, décalées de quelques années suite à des « bonnes années » de pâturage. Les plus anciennes civilisations en partie sédentaires, comme celle de l’Égypte, ont su employer des masses de main d’œuvre à bon escient. C’est-à-dire, la capacité de former et de stabiliser des cités et des citadins, des armées et des caravanes, n’est pas un bon indicateur du progrès évolutionnaire, que ce soit une coévolution culturelle et génétique ou une évolution purement génétique, mais un produit constant de circonstances conjoncturelles, depuis qu’on sait se déplacer, même si les liens individuels dans un groupe peuvent bénéficier d’une mémoire plus grande qui permet de situer plus d’individus et de classes d’individu.

Ce type de mémoire peut également s’employer, comme dans le cas de l’orang-outan ou de l’éléphant, pour mémoriser des territoires, des calendriers saisonniers et des sources d’approvisionnement. Le raisonnement qui mène Henrich à supposer qu’il y a une « évolution culturelle » de l’intelligence collective a un défaut – nous ne paraissons pas en avoir beaucoup, d'intelligence collective culturelle - elle prend facilement des dérives. Les questions "comment?" de la science peuvent trouver des réponses à menu sans que les liens de causalité de l'ensemble soient ainsi décrites - un cancer humain est une désordonnance de la cohérence d'une vie humaine - est-ce la même matière? L'heuristique de l'intelligence collective n'est pas juste une série de mécanismes fortuits statistiques. Le "corpus de savoirs faire" auquel tient Henrich pour étayer sa thèse est éternellement réinventé, mutant. Le plus apte, évolutionnairement parlant, peut ête celui qui a un cerveau moins développé - cela paraît être le cas avec tout animal domestique par rapport à sa version "sauvage". Le "nous" domestiqué, est-ce qu'il a éliminé les nous plus intellectuellement développé sauvage ?

L’une des choses qui peut enflammer le plus, des américains, est « si tu veux réussir comme moi, fais comme moi – regardes, je suis riche et [béatement] heureux » (la chanson "I'm the King of the Jungle", dans le film du Jungle Book par Rudyard Kipling, version Walt Disney, exprime bien ce sentiment). Oui, au dépens du reste du monde, en singeant la méthode coloniale anglaise. Il me semble que mon point de vue est devenu un peu daté et que les américains sont en train de mûrir suffisamment pour reconnaître leurs erreurs – je l’espère, il y a beaucoup à défaire.

L'Intelligence collective appliquée

L’intelligence collective « civilisée », par contre, peut très bien s’approcher d’une évolution culturelle plus que génétique, si elle réussit à réconcilier les divers intérêts « écologiques » de ceux qui co-occupent l’écosystème, plutôt que de tenter de le remplacer. Tout le monde est d’accord qu’il existe plusieurs variantes de culture qui fonctionnent de manière relativement stable, au moins jusqu’au rencontre avec d’autres civilisations. Le nomadisme peut succéder au sédentarisme agropastoral, si un écosystème excède ses limites, parce qu’il permet de vivre à moindre consommation de ressources et à moindre essor démographique. L’interaction nomade-sédentaire réussie est une signe de sagesse culturelle, à cet égard, puisqu’il est incroyablement difficile à réussir.

Les cultures de conquête et de colonisation, par contre, n’ont pas marché, écologiquement, puisqu’elles ont eu tendance à dépasser rapidement la capacité de leurs propres écosystèmes et celles des autres ensuite, enchaînant les « défaites » écologiques en série. Autant l’aspect désertique de l’ouest de la Grèce qu’une grande partie du sud-est de l’Espagne et de l’Afrique du Nord mettent en évidence les effets du surpâturage des chèvres, aujourd’hui encore. Ces effets délétères au sols du colonialisme grecque, phénicien et autres datent souvent d’il y a plus de 2500 ans (récits de Platon). De dire que le colonialisme a marché parce qu’il a dominé, éliminé ou culturellement assimilé les concurrents est de la pure fiction. Sa propagande a marché, ça oui. Les grands dinosaures qui ont « dominé » la terre ne sont plus là et ce sont les virus, les maladies et les épuisements d’écosystème autant que les guerres qui ont vaincu le plus les êtres humains, jusqu’à effacer leurs traces et leurs histoires.

Des idées reçues ...

Les idées reçues de l’intelligentsia, de l’élite, sont très conditionnées par leur propre environnement et modes. Par exemple, en lisant cette œuvre du chef du département de "Biologie évolutive Humaine" à Harvard (faux pas que je dise "ethnobiologie"), je suis frappé par ses interprétations inconsciemment biaisées par des valeurs culturelles américaines et allemandes, tout comme je le le suis en France. Il définit la rationalité de l’intéressement personnel par le « toujours plus » monétaire et matériel, comme Nicholas Sarkozy en avait l’habitude lorsqu’il était au pouvoir. Un nomade n’a aucun intérêt à porter beaucoup, il ne fait pas la même erreur. Les allemands et les néerlandais font des expériences par rapport au conformisme général, ce qui ne cesse d’amuser les anglais. Les enfants américains et allemands s’allient toujours à ceux qui ont le plus de proximité linguistique, ou qui sont du même sexe, etc., ce qui laisse à penser que même s’ils deviennent « anti-racistes », personne ne les aura fait vraiment croire que la catégorisation des gens de cette manière soit à questionner ...

Les britanniques sont des raisonneurs souvent non-hiérarchiques et fraternels, par rapport aux cultures mentionnées. Le non-conformisme est institutionnalisé et représente au moins 6 millions de personnes dans une population de c.65 millions, avec une influence disproportionnée. L’arrivée du non-conformisme est bien sûr le résultat d’un excès de conformisme, mais notons que ce n’est pas l’anti-conformisme, sinon une accommodation de la réalité du vivre ensemble. Cela veut dire baisser les yeux, plutôt que lancer un défi, par exemple, refuser de s’engager ou se retirer au lieu de contre-attaquer. L’idée d’un rapport de force n’est pas très bien compris en Angleterre – si cela en vient à un rapport de force, c’est qu’on a déjà perdu la raison, normalement. Les rapports de raison et non pas de force sont définitivement préférables.

On peut me critiquer pour ma manière autoritaire de « dire » le caractère anglais, mais je ne cherche qu’à démontrer que si on accepte que nos savoirs sont bâtis sur des conventions culturelles plus que sur l’intelligence de l’individu, des conventions qui, comme raccourci, peuvent s’appeler « l’intelligence collective », on doit aussi pouvoir accepter qu’une croyance largement partagée au Dieu « raison » et à son Saint « le rasoir d’Ockham » peut en faire partie.

D’autres exemples dans le cadre anglais sont les anarchistes, qui choisissent presque sans exception de se vêtir de noir, avec des bottes noirs (comme si c’était la liberté de se conformer [aux codes vestimentaires de leurs ‘ennemis’]). Ils sont les analogues des « black blocks » et de l’éponyme passe-partout « Cami/lle » des ZADs. Cela fait contraste avec le désir de se vêtir n’importe comment pour subvertir les codes de l’uniformité, dans ces mêmes groupes. La mode joue avec les codes, elle aussi. Ces jeux sont des répétitions essentielles pour repousser le conformisme irréfléchie. L’anti-autoritarisme n’est pas contre l’autorité (nuance). Il y a une grande différence entre l’apparence et la réalité, qu’il faut souvent percer. Nous avons Robin des Bois (les français aussi, ils mettent l'électricité la nuit), les allemands Hansel und Gretel, les américains the Good the Bad and the Ugly. Etc.

Nous sommes tous les héritiers de l’Âge de la Raison. Nos « normes », si l’on accepte un moment les prémisses du livre d’Henrich, sont donc celles de « la Raison » qui dépasse le dogme. La Raison, c'et le vrai, même si le vrai est difficile à cerrner et dépend de la grille de lecture. Que ces mots existent depuis des lustres prouve notre connaissance et maniement de la problématique. Nous avons fréquemment eu, de toute évidence verbale, à y faire face. Nos normes de l’organisation des sciences du savoir prennent en compte la tendance à l’imitation des êtres humains, le système de « peer review » reconnaît cette réalité humaine, à l’égal du système parlementaire – nous avons donc dores et déjà des systèmes de « raison au pluriel ».

J’ai commencé cet écrit par citer des mots d’origines grecque et latine dans un dictionnaire physique français de 1977 (heuristique, heur) et sur wiktionnaire le mot sérendipité, d’origine sanskrite via le perse et l’italien (1557) et puis l’anglais. C’était en partie pour signaler que l’appréciation de « la raison » et de « la science » n’ont pas leurs origines dans l’époque moderne industrielle, sinon très longtemps avant, qu’on a peut-être oublié leurs origines pour faire cercle complet et revenir aux mêmes conclusions. « Heur-eux soit celui qui ne connaît pas son sort » sonne quand même mieux que « sérendip-iteux sera lui qui ne connaît pas son sort », ou, comme on me l’a dit une fois « la vérité est ce que dit l’oracle de Delphes, cherches à la comprendre ».

La dépréciation systématique de la raison, jusqu’à la dépréciation des « mots savants » (voir ci-dessus, abréviations du Petit Robert 1977) n’est pas pas une norme des civilisations dites primitives, sinon de la nôtre. Pour nos prédécesseurs, les mots étaient leurs outils de travail, pas un simple passe-temps social. Leur transversalité linguistique ne cessait d’enrichir la compréhension – des savoirs neutres dans un monde d’intéressement. L’un des graves dangers du numérique est de nous aliéner de nos outils cognitifs – les langues - qui nous permettent d’appréhender le monde – d’en faire un sens qui nous parle et qui nous donne les outils mentaux pour agir.

Reprenons

Finalement, je suis plutôt convaincu par les conclusions du livre de Henrich. J'ai l'habitude, dans mes processus d'apprentissage, de challenger vigoureusement tout ce qui va contre mes idées reçues - je crois que cela m'aide à m'engager avec la matière.

Les plusieurs points de désaccord surgissent peut-être de mon background, dans la culture des « hobbits ». Il dit avec raison qu'au lieu de nous tenir sur les épaules de géants, nous nous tenons sur les épaules de hobbits. Je pensais utiliser l'image d'Einstein comme exemple de la fulgurance de la génie humaine, mais je suis obligé de reconnaître qu'on ne pourrait plus hobbit que lui. Son entourage et ses expériences expliquent très facilement les outils et les possibilités mentales qu'il a pu acquérir. Ce contexte de haute qualité d'appréciation scientifique explique aussi l'acceptation du milieu scientifique pour ses idées.

Je cite une phrase (p456). « Non seulement un plus gros cerveau collectif produit une évolution culturelle cumulative plus ample et plus rapide, mais, si la taille ou la connectivité d'un groupe diminuent brusquement, ce groupe risque de perdre collectivement des savoir-faire culturels au fil des générations. » Et une autre (p460): « Avant que le commerce international n'ouvre pleinement les océans pour en faire des grandes voies maritimes, nos cerveaux collectifs étaient limités par la taille et la géographie de nos continents. »

Dans les dernières chapitres du livre, Henrich propose que nous sommes en train d'évoluer encore, culturellement et génétiquement, en accélérant. Si nous lisons attentivement les deux phrases citées, deux critiques ressortent. Où arrête la taille de la croissance du cerveau collectif? Les lois de l'évolution requièrent des populations différenciées et séparées aussi. La connectivité d'un groupe peut diminuer brusquement si, par exemple, le schéma d'information rend difficile le discernement à sa juste valeur des informations pertinentes. En fait les arguments, à ce niveau-là, d'Henrich sont grossièrement simplistes - comme des haches en pierre rudimentaires. Nos nouvelles technologies de la dissémination de l'information ne sont aucunement culturellement assimilées, nous n'avons pas eu le temps d'adaptation nécessaire. Les sciences ne se montrent pas assez adaptatives, non plus. Ses théories peuvent aider dans le processus.

Il me semble que si je réagis mal à ses propositions, ce n'est pas parce qu'il a tort, ni parce qu'il a tort de les élaborer, comme outils utiles. Non. C'est parce que je viens, moi aussi, du pays des hobbits - le pays qui a eu l'empire maritime mondial qui a permis à ses scientifiques de relier autant de points d'information culturelles plus tôt que d'autres cultures et de faire que sa langue devienne la lingua franca du monde savant entier. C'est-à-dire que l'Angleterre a un temps d'avance dans le développement d'outils culturels particulièrement bien adaptés à notre époque industrielle et post-industrielle et à la crise écologique présente.

La taille

L'Angleterre n'est pas de très grande taille, mais elle est exceptionnellement bien connectée. Henrich ne met pas de confins sur la taille des groupes, on ressort avec l'idée que plus c'est grand, mieux c'est. Ni est-ce qu'il analyse le jeu entre les groupes de différentes tailles, à part dire que les individus savent discriminer entre un bon enseignant et un mauvais enseignant. Peut-être il se défendrait en disant que c'est hors sujet, mais le sujet est la biologie évolutive humaine et l'hypothèse est que les boucles de rétroaction existent. La population humaine est de plusieurs milliards de plus que naguère, on peut se sentir noyé dans la masse. Son évolution est menacée par l'extinction, pur et simple, par l'excroissance de la population. Même à des populations plus réduites, l'humanité a eu des impacts très forts et parfois adverses sur l'écologie de son milieu de vie, dans le passé, une boucle de rétroaction aussi significative que celle qui opère socialement ou dans l'invention d'outils. La pression démographique est une réalité humaine, elle change les rapports entre nous pour créer de l'ouverture sociale ou de la fermeture (repli) sociale. Comme la société est dynamique, il y a une constante insertion sociale de nouveaux venus dans des hiérarchies sociale plus statiques ou stables. Ces arrivants ont tendance à l'ouverture sociale (ils cherchent à s'intégrer). Les hiérarchies consolidées cherchent au contraire à défendre leurs acquis. L'équilibre entre ces deux forces est critique pour le passage de savoir adaptatif.

La nature précise de la connectivité intrahumaine, hors liens familiaux et tribaux, spécifiquement technologique et macro-systèmique, adaptée à ces vastes populations en convergence culturelle, devient la préoccupation centrale. Pas la taille, puisque tout le monde, ou presque, est interconnecté - trop interconnecté. Une fois un certain seuil dépassé, on passe à des critères inter-taille, ce que j'appelle d'inter-connectivité fractale et dynamique. Ce n'est pas un tout ou rien, la granularité rentre en compte - c'est-à-dire la cohésion sociale à diverses échelles. On peut argumenter que peu importe le confort communicatif de chaque individu, mais c'est ce qui a le plus d'importance pour que la culture humaine ait une existence fonctionnelle. Si les tribus, les us et coutumes, les unités familiales commencent à être perçues comme sans importance - qu'est-ce qui peut les remplacer ou les étayer ? Je ne fais qu'accepter son constat que nous sommes en train d'évoluer, plus rapidement que jamais. Ce n'est pas la fin de l'histoire. Le vrai sujet est de recentrer la sciences en les concentrant sur le rapport qu'ont ces cerveaux collectifs, ces cultures et leur organisation à notre existence. Comme le dit Henrich, ce sont des facteurs co-évolutionnaires - notre manière de nous transporter et de transporter l'information impacte notre organisation sociale et notre capacité de mettre en œuvre les politiques nécessaires. Pour convaincre aux gens de changer d'habitude, il faut qu'ils se trouvent dans des cadres apprenants susceptibles de produire les résultats désirés. En tout cela, nous sommes très déficients. Les écoles n'ont jamais été aussi efficaces que lorsqu'on était dans la découverte de leur valeur, motivés et enthousiastes.