été 2020

L’esthétique de l'Estive
Liers hêtres

Ce serait une erreur de croire que la Pelouse tient au-dessus de tout toute seule, ses racines pendant dans le vide des murs écroulés. Elle est le symbole même du pastoralisme, mais le calcul n'est plus économique, ni productif, sinon esthétique, voire éthique : une tentative de figer le moment nostalgique de l'éternelle Nature.

On vient ici pour débusquer le silence et le dénuement humains, comme s'ils étaient des trésors d'une valeur inestimable. Le collectif de l'Estive collabore, en réalité, dans le but d'empêcher la restitution des ruines et de leurs cultures potagères, leurs champs de céréales vivrières, leur familles, leurs enfants qui y vivent. Le « tout bétail » met sous le sabot chaque mouvement visant à démonoculturiser l'affaire. La Monoculture fait régner la Paix : c'est, après tout, l'aspiration de toute hégémonie collective, de toute dictature consensuelle.

La Vallée de Liers est le pays des Versantiles – chaque versant comprend jusqu'à 1,000m de dénivelé. À mi-pente on a vue, à un kilomètre de distance, sur un pays où on ne va jamais, l'autre versant de sa vallée.

Comment articuler un pays de « randonneurs » ?
... chemin faisant ... chemin vers ... chemin versantile

Dans les Andes, les ancêtres des Incas et des autres civilisations andines vivaient un ordre socio-géographique au vertical, gouverné par les transhumances périodiques entre des « paliers » écologiques : en bas le maïs, là où l'irrigation le permet, en haut les patates, pour pouvoir les sécher et les stocker.

Au Port, en principe, chaque maisonnée a une étroite découpe, du bas jusqu'au haut, de paliers écologiques qui se travaillent à diverses époques de l'année. Selon Le Journal d'Ici (№ 27, mars 2020), en 2010 le Massatois comprend « 2268 ha en SAU (Surface Agricole Utilisée), dont 2248 ha en herbe à bétail, 10 ha en terres arables et 5 ha en cultures pérennes (fruits) ».

L'ouverture des estives au véhicules rompt à peu près totalement cette obligation de transhumances concertées, permettant aux sédentaires que nous sommes de nous cantonner dans de petites parcelles cadastrales ombiliquement reliées aux « sources » que sont devenus les supermarchés d'en bas, l'Estive prend le reste.

L'origine de ces maintes parcelles cadastrées est, comme au Port, la connectivité de ses paliers écologiques, l'échange et le partage de biens et de services se fait sur place, dans le détail.

Tombées sous le joug de la civilisation véhiculaire supermarchisée, le sens même de ces parcelles et subverti à diverses causes, celle de la propriété immobilière, celle des amateurs de « La Nature », celle de ceux qui aiment les vaches, les ovins les caprins, les desmans.

Ces objets de nos affects symbolisent notre « intégration ». La fonctionnalité manifeste des orris, des granges et des petites maisons parsemés sur les versants – qui est de mettre à proximité et en collaboration ceux qui entreprennent les maints travaux physiques de la vallée - est totalement bafouée par nos dépendances à distance, qui nous font consommer à un niveau qui ne pourrait jamais être atteint par la vallée elle-même. Et pourtant, cette même vallée serait capable d'absorber, sans frémir, dix fois plus que sa population présente, sans cette consommation dédiée aux véhicules.

Comment faire évoluer une estive pastorale et potagère, pastorale et céréalière ? Déjà en confrontant les « estivants » à leurs propres incohérences d'amateurs de la Nature. La Pelouse ne peut pas longtemps supporter la population actuelle de bétail, ni est-ce supportable.

La Vallée de Liers a un atout écologique : ses habitats ruinés et son absence de viabilité carrossable permettent l'essor d'une économie humaine qui prend partie pour la nature de manière intégrée, pouvant servir d'exemple à d'autres milieux ruraux dépeuplés.