mardi 23 février 2021

Analyse du paysage, tel qu'il se pressent

N'oublions pas un seul moment que les paysages qu'il nous faut analyser sont ici – pas dans les pays sous-pliants, dans la mesure que c'est ici que l'on a consommé et qu'on va consommer le monde – dans les pays dominateurs d'origine. La rapidité de l'épuisement des ressources, de l'extinctinction d'espèces et d'individus est telle qu'il restera très peu pour les pays en voie d'adopter notre mode d'hyperconsommation hyper-destructrice.

Mais cette analyse ne doit pas se faire sur des critères purement physiques au niveau dit «local» – c'est la logique du paysage dans sa manière d'appuyer nos valeurs qui en est le sujet, de l'analyse. Car, bien sûr, ce sont les dégâts perpétrés dans des pays lointains, pour fournir nos «besoins» de consommation, qui font partie de notre paysage actuel. C'est même pour cette raison que notre paysage local ne nous sert plus guère à rien en termes de fourniture physique de ce qu'il nous «faut» pour vivre. Au contraire, il nous est façonné pour créer le néant, le vide sur lequel nous imprimons nos rêves et nos désirs secrets, sans nous déranger outre mesure.

Voyons comment ça marche. A l'époque de ma naissance, en Angleterre, les «bed-and-breakfasts» mettaient encore des panneaux avec «pas de noirs, pas de chiens et pas d'irlandais» écrit dessus – et la moitié de ma famille est très identifiée à son origine irlandaise de par le nom de famille de divers personnages célèbres ... en Amérique. Rappelons-nous que John Fitzgerald-Kennedy a décidé d'occulter la première partie de son vrai nom de famille pour des raisons électoraux. Il s'est fait élire, aux États-Unis, presque au moment de ma naissance. Cela a marché, dans les deux cas, malgré les obstacles.

Ces irlandais et leur histoire servent presque de «testbed» pour le modèle colonial grand-plan instauré entre le dix-huitième et le dix-neuvième siècle. Ils étaient les «navvies» («ouvriers de base» - péjoratif) sur les gros œuvres des chemins de fer, des canaux, etc., sur le «Mainland» - la base manufacturière pour les importations de ressources primaires dans les colonies. Les pouvoirs anglais ont toujours cherché à garder les ouvriers «noirs» en dehors de leurs frontières métropolitaines – ce n'est que dans les années 1960s qu'on a vu arriver des antillais en grand nombre (la génération «Windrush») un peu de la manière qu'on a vu arriver les algériens en France, même si les circonstances furent moins tendues. S'il y a une raison à cette absence de noirs dans le mixte, naguère, elle est que les anglais ont un concept de la liberté et de l'égalité de tout le monde dans leur lois et dans leurs mœurs depuis toujours, qui ne sied pas du tout avec l'esclavagisme. Le «deux poids deux mesures» s'est entretenu en limitant la présence des coloniaux au minimum sur les îles britanniques – et en parlant encore moins de cette existence, sauf au niveau de l'exoticisme. C'est le Bristol, port primaire des armateurs de l'esclavagisme, qui en a connu le plus, historiquement. Mais la libération et la révolution se sont passés heureusement ailleurs, nous avons déjà eu la nôtre, à titre relatif, et nous l'avons poursuivie en extrayant nos bénéfices des autres par le free trade. Vive la liberté!.

Le modèle est encore plus malicieux – puisque une grande partie de ces irlandais (écossais, gallois, cornouaillais) servaient à l'empire britannique comme la classe d'administration coloniale de base – les pirates, les marchands, les petits chefs de chantier – et maîtres d'esclaves. On peut aussi observer à quel point les irlandais arrivaient à pénétrer partout si on jette un coup d'œil sur les noms des participants à … la révolution française, ou à la révolte dans la Vendée. «Takes one to know one» - d'après tout, ils savaient mieux que personne là d'où ils venaient … les grandes familles, l'extrême pauvreté rurale, les nettoyages ethniques ont tous étés d'abord le lot des ethnies discriminées des îles britanniques, leur rendant capables d'infliger leur «savoir faire avec» aux autres.

Pendant le cours du dix-neuvième et du vingtième siècle, tout le monde, peu à peu, a changé de station sociale. De nouveau, le trajectoire de mon grand-père d'origine purement irlandaise (sa famille est venue autour de la «Famine des Patates» génocidaire - c. 1850) en est un bon exemple. Il a intégré les forces navales anglaises pendant la première guerre mondiale au plus bas dans la salle des machines, pour terminer dans la deuxième guerre mondiale chef ingénieur sur les plus grands navires de la flotte. Pour l'anecdote, tous les bâtiments de guerre dans lesquels il a exercé ses fonctions ont coulé, sans qu'il soit jamais present au moment de leur némésis. Son fils, mon père, est devenu prof. Cette «ascension sociale» est des plus banales, dans l'histoire de presque tout «anglais» du début du vingtième siècle. Cela fait que l'Angleterre n'est décidément pas anglaise et le caractère national d'autant moins, la majorité de la «classe dirigeante» se sentant encore bien heureuse de s'être échappée du plus bas – il n'existe que le besoin de s'inventer quelque chose de discernable dans le flou des génocides progressives culturelles qui terminent par rendre ridicule l'idée d'une «guerre de classes» dans le sens figé du terme. Une guerre de l'entre-soi contre soi, sotto voce, à la rigueur.

racisme résumé

Ce qu'on appelle le racisme, ou de manière encore plus indéterminée la discrimination, a commencé très près de chez nous, partout, avant de se mondialiser. On pourrait dire que le racisme est «fractal» dans le sens qu'il va trouver moyen de s'appliquer dans tous les cas, si on lui donne sa tête.

Les échelles de la fractalité sont physiquement déterminées, on peut affirmer cela aussi. Les «classes discriminées» vont se trouver tout près lorsque les moyens de transport ne sont pas très rapides, ensuite ils vont s'éloigner - à l'époque des empires maritimes, pour, dans leur incarnation présente, se trouver partout, au temps de l'instantanéité éthèréale. Il faut simplement des marqueurs clairs – couleur de peau, voiture, âge, nom de famille, fric – lorsque la connaissance est dans le détail défaillante.

L'oligarchie, un mot sans importance jusqu'à il y a peu, a aujourd'hui un caractère défini surtout par la richesse et la mobilité matérielles et non pas par la couleur de la peau, le sexe, l'éducation, la langue. Les plaintes de racisme et de discrimination, par contre, se font par rapport à des vieilles histoires qui ne sont plus à l'ordre du jour réel – tout au moins dans la mesure que l'anti-discrimination à ces égards est devenue, en soi, une force de discrimination massive.

Dans notre trame d'analyse du racisme des États-Unis, un racisme d'apparence qui est, pour nous, anachronique, nous oublions cela – c'est-à-dire que de nouveaux motifs de discrimination peuvent naître et créer un ou plusieurs «effets ricochet» qui font resurgir les anciens ressentiments. Il nous faudrait y prêter plus d'attention sérieuse. La discrimination positive, basée sur des déterminants de classe saillants, laisse son empreinte négative sur des individus qui sont par conséquence exclus, sans motif, qui forment ensuite des coalitions de «pas contents». Ce n'est pas étonnant: sur le principe bien anglais de céder avant que la barque «craque», la proto-révolution américaine du déplacement d'une grande quantité de gens tout-à-fait compétents et aiguisés à la tâche de gouverner, blancs, mâles et d'une certaine âge, pour les remplacer par des gens moins rôdés, bien que ne manquant ni d'enthousiasme, ni de compétence, juste parce qu'ils ne sont pas blancs, pas des hommes et pas très âgés, peut paraître un peu fort de café. La logique statistique, hypothétiquement au service de l'individu, termine par violer l'égalité d'opportunité pour le dit individu, comme si on rajoutait dulestage à un plongeur pour l'interdire de refaire surface avant les autres. Il ne faut pas laisser hors compte le calcul politique des dirigeants encore en poste, de voir des barracudas voraces de la même taille remplacés par des poissons «sage-femme» à la plaisante complicité. L'individuation statistique de notre analyse de ces phénomènes insulte, en quelque sorte, notre intelligence collective, tout comme l'atomisation numérique et économique de nos intérêts masque habilement l'enjeu si favorable pour les pouvoirs hiérarchiques - qui soudent ainsi de plus en plus le pouvoir et de richesse entre leurs seules mains à cause de ces effets «secondaires».

L'un de ces effets secondaires non-identifiés est que l'oligarchie a, aujourd'hui, adopte ostensiblement une idéologie illusoire définie de plus en plus par des critères d'affect, aidé par ce tabou sur la discussion ouverte de leur fonctionnalité combinatorielle - leur «fractalité». Des mots comme performance, mérite, docilité, vitalité, beauté, chaleur humaine, empathie, autonomie, facilité, adaptivité, charisme, dynamisme, compatibilité foisonnent et contrastent joyeusement avec d'autres mots comme compliqué, difficile, intriqué, caractère, insoumission, marginal, psycho-rigide … sans que l'on se demande s'il est vraiment possible, socio-psychologiquement, d'expliquer des effets de groupe en termes de pure psychologie individuelle. Témoigne la concentration qui se prête aux qualités exaltées nécessaires aux astronautes putatifs ...

Les mots choisis ci-dessus se veulent universels et neutres mais dans leurs effets exercent autant de tyrannie sur la «non-conformité» que n'importe quelle catégorie arbitrairement discriminatoire d'antan. Dans leur usage réel, dans leur subjectivité relationnelle, ces mots donnent le feu vert à toutes les manipulations du pouvoir social possibles.

L'anti-universalisme naît du désir de s'échapper des confins de cette monoculture amorphe en auto-service des privilégiés. Les idéologies de repli «identitaire» servent comme drapeaux rassembleurs auto-protecteurs dans le sens qu'étant, par définition, non-universelles, on ne peut pas les attaquer en utilisant les codes de ce cadre de logique devenu orthodoxe et politiquement correct. Noblesse oblige. Inconformité oblige plus.

La petite expression assassine qui représente le mieux cette situation de repli identitaire est: «c'est ton choix»

(mais, ... merci pour me le faire connaître …).

re-paysage – gre-unwash

Bon, cela a été une grande parenthèse – du moins en apparence – dans le sujet de tête - l'analyse du paysage. Ce paysage, il est cependant le résultat, le produit de cette trame analytique. Vu d'un avion, le paysage de l'Europe de l'ouest est affreusement répétitif, un patchwork de rectangles à perte de vue, qui ne cesse que lorsque la mer ou les montagnes empêchent l'intervention humano-machinale directe. A l'instar des HLMs anglaises, fondées sur la doctrine du choix, ces rectangles sont d'une uniformité éclatant de mornitude. Pour ne pas perdre la face dans notre accaparation du monde entier, notre abandon des quelques friches inaptes à l'occupation se qualifié de «réserve» – pour que personne d'autre ne s'y aventure non plus - la nature humaine remplit ainsi le vide.

Mais la bio-nature et la biodiversité sont ici en état catastrophique, la régularité «anti-naturelle» du paysage met en évidence les spasmes et contractions qui ont arrêté le «cœur» de cette nature. La qualité géométrique de ces phénomènes n'est pas dû au hasard, ni est-elle dû à un dessinateur global «conscient», elle est le produit d'un système, oui, mais surtout d'un système qui a perdu le sens de ses aboutissants géophysiques contextuels, sa seule cohérence étant auto-référentielle.

Le plus pitoyable, dans ce système qui s'est échappé à ses dessinateurs, est que la «nature», pour nous, ce sont les montagnes, la mer, qui avec leurs formes d'apparence insoumise à l'artificialisation de l'anthropocène, représentent des éléments d'espoir de retrouvailles avec notre nature propre. Cette mode de pensée «anti-classique, néo-gothique», est née avec la révolution industrielle, c'est comme l'idéal du jardin anglais en contre-point de l'idéal du jardin de Versailles.

En réalité, les friches qui se trouvent aux marges de notre artificialisation du sol n'ont pas plus de sens que le paysage domestiqué – l'échelle des choix décisifs qui les a formé n'est nullement en phase avec les besoins de la planète et ces vestiges dites «naturelles» ne sont que les bords de page non-guillotinés dans une œuvre d'auto-destruction quasi-complète.

Tout ce dont on peut être sûr, c'est que les paysages qui en résultent représentent les manifestations physiques de la dynamique qui les a créés – si on sait les lire.

randonnée en vaine-patûre

Ce matin, j'ai marché, sur la route qui mène vers le haut, vers l'éco-golf (sans encore le trouver, j'espère que ma bonne chance continuera). L'ambiance sonore, le matin de ma sortie, a été remplie par le vrombissement des automobiles vacancières d'un beau dimanche de «couvre-feu», en symphonie avec des tirs soutenus de fusil assez gros-calibre. Les fourgonnettes et 4x4 blanches qui sont de rigueur pour le transport des chiens de chasse surnuméraires étaient librement distribuées en bas du chemin. En montant, j'ai noté l'oblitération standarde de tout arbuste, tout roseau par le fauchage, au bord d'une route goudronnée en état immaculé. Des panneaux d'apparence rustique indiquaient les gîtes toutes prêtes à accueillir le touriste aux poches profondes. Le panorama qui s'étalait devant moi était d'un paysage de champs vides entourés de clôture électrique, quelques moignons d'arbre erratiques, quelques vaches vacantes. Ensuite des tas de pierres et d'agrégat qui donnaient à penser qu'il y a eu des travaux de construction «en cours», des champs déchiquetés en ornières de boue de tracteur, deux ou trois petits conglomérats de hangars massifs qui devaient être les fermes du coin. En surplomb, la garrigue du haut des «causses», trop pentues, trop dénuées de sol arable pour subir des mis-à-ras systématiques, peuplés d'épineux résistants aux vaches, avec des antennes relais encerclées de clôtures défensives tout au sommet comme des cornes surdimensionnées.

J'ai trouvé ce paysage désolant parce que désolé, désert. Le désert néo-rural réel. Les objets matériels épars étaient comme des bouts de lego géant placés ci et là. Il ne s'y trouvait aucun véritable lien avec les contours du paysage, à part la sinuosité précise de la route, aucune échelle mineure, aucune diversité, juste un gros dessin délaissé d'enfant désenchanté et distrait, avec les crayons couleurs abandonnés sur place. Seulement le LIDAR serait capable d'y voir quelques restes d'activité contingente humaine. Pas de jardin, pas d'abri pour des gens «bosseurs» qui ne prennent leurs loisirs qu'«en voiture», au dedans – dans un tel paysage je pouvais les comprendre. Très peu de variation chromatique. Des bennes en plastique au bout de chaque chemin de chaque «amateur de la nature» qui a décidé de venir vivre dans ce désert qu'il pensait plus prêt de la nature. Des bennes aliènes qui servaient à extraire les intrants dont dépendait le ménage.

Un paysage «infractal», où l'ordre de l'infractalité arbitraire s'impose, plus que l'ordre des êtres vivants qui s'accordent à en faire quelque chose. Même les vaches n'y voient que le sens de l'entrée des graines et du foin d'ailleurs – elles sont équipées, ces ruminantes à courte vie d'ennui, pour rêvasser jusqu'à la fin du temps tronqué. Une fractalité unique – donc impossiblement contre-nature, idéale pour la chasse et les grosses machines, aucune anfractuosité du terrain pour se cacher, des champs de libre tir à perte de vue.

Ce paysage dit «pastoral», il peut s'apercevoir sur toutes les landes et les haut-pays de l'Europe, surtout au nord de l'Angleterre, là où les écossais ont été chassé de leurs terres (crofts), reprises par des aristocrates chasseurs qui en ont fait des réserves d'abattage «naturelles» pour ensuite douglasser le domaine forestier, ne laissant finalement que l'ossature du pays nu dans les vents hurlants, là où il y avait jadis des jardins, de la tourbe, des arbres anciens, des accidents de terrain vécu partout.

Les premiers «touristes», les premiers consommateurs, les premières vaches-à-lait de l'obsolescence programmée du paysage trouveraient ici les héritiers qu'ils méritent.

Je me rappelle que dans la Suisse, dans l'une de réserves naturelles les plus anciennes de l'Europe, on réintroduit au bout de cent ans les loups pour permettre la croissance des jeunes arbres, broutés jusqu'à l'extinction sinon par les cerfs non-chassés du coin. Je me demande si l'effet majeure de la présence des loups n'est pas pas tout simplement que les cerfs savent qu'on les guette, qu'une présence familière les regarde de nouveau avec du sens.

Un paysage qui n'a pas de sens, peut-être ça se sent – que le vide se sent et qu'il est devenu la nature de l'étoffe cérébrale des esthètes du monde entier. Le silence. L'absence. L'effacement et son observateur, émerveillé, niais devant cette merveille insondable du vide qu'il sait créer, là où la vie a renoncé à son savoir vivre.

Dans un écosystème, il existe une (en réalité plusieurs) dynamiques de réaction-diffusion – des insectes voraces pullulent, des prédateurs qui les mangent commencent à pulluler, l'équilibre entre les deux populations s'établit, mais cet équilibre est toujours oscillant – il y a des années où il y a plus de prédateurs, des années où il y a plus d'insectes, …

La vastitude de la nature nous a permis d'alimenter la croyance que nos petits efforts humains, que chaque «patch» de notre «work», n'allait jamais porter atteinte à l'énorme réservoir naturel qui rengraissait chaque année nos propres réserves. Ou plutôt, cet article de mauvaise foi s'est érigé en bannière de l'exploitation agricole (sic.), c'est-à-dire que son temps est venu avec les projets chaque fois plus ambitieux de spoliation outre-mesure de ces réserves. Il nous a fallu produire une autre mythe, celle des terres vierges et non-exploitées au delà de la montagne, toujours plus loin, pour continuer d'y croire, lorsque le monde sans limites s'est montré à bout de souffle chez nous. Les mythes présentes de «solution technique» à notre excroissance de consommation suivent dans la droite lignée de ces abjects mensonges. En foutant des engrais artificiels sur des terres agricoles écrasés et compactés par nos tracteurs trop lourds, nous pouvons faire des calculs optimistes de productivité augmentée, pour arriver à des bilans net-positifs de «développement durable». Il nous faut juste trouver les moyens de créer une énergie sans limites pour que le système se relance - je pense à l'abondance de croquettes de chien qui pourraient mieux servir à alimenter les feux éternels de l'église de l'industrie, mais ces sacrés amateurs de la nature me lyncheraient sur les seuls arbres qui restent.

Le patchwork du paysage actuel nous peint un tableau qui ne correspond à aucune augure du futur.

C'est la non-fractalité de ce patchwork de champs qui nous démontre cette réalité, de nouveau. C'est les champs carrés d'un mile anglais pendant des milliers de kilomètres au Canada, avec des villes identiques, avec des magasins identiques, chaque mil de miles. C'est les franges de ce règne anthropique qui, comme les franges délabrées d'une aile de papillon migrateur au bout du voyage, mettent en évidence l'usure qui condamne le système. Ce système auto-organisatif qui à l'origine était fait pour «jouer les échelles» comme un jeu de ciseaux, papier, pierre, qui n'était jamais réductionniste, mais expansiviste, contre toute épreuve. Du passé. Ses noyaux d'interférence à petite échelle pouvaient «pulluler» à n'importe quel instant, sauf que les moments de leur interaction avaient de l'échelle, coïncidaient et divergeaient de manière à créer des foyers et des granules à la mesure de leur environnement – puisqu'ils étaient faits de et avec leurs environnements, en contact intime.

Les grands migrateurs, les oiseaux, les virus, les planktons et nous, les éléphants de mer, nous sommes des vecteurs et nous nous devons d'en faire un sens et une cohérence de nos interactions, d'exporter et d'importer des modes «à diffusion lente» dans un monde qui dorénavant décollera de rapidité sinon.

du tout au rien

Les modèles statistiques ont du mal à traiter de cette réalité mais imposent leur camisole sur notre univers perceptuel. La météo utilise des modèles cellulaires qui créent des prédictions gros-plan de ce qui va se passer, au coût d'une consommation effarante de données. Les modèles climatiques et écologiques qui nous font si peur pour l'avenir fonctionnent de manière analogue, comme si le futur n'était qu'une projection du présent – rien de plus … simpliste.

La vie, non. Il suffit d'une seule mutation, à l'extrême limite de l'improbabilité, pour bouleverser le monde – (salut Covid!). On peut même oser dire que les principaux déterminants de l'avenir sont ceux qu'on n'a pas su anticiper ou comprendre ou accepter – bien que la meilleure manière de prédire l'avenir est d'essayer de le créer, avec ou sans connaissance de ses causes et de ses effets. Le monde humain s'est embullé, pour ne plus savoir cela, il se terraforme tout seul dans son coin, en splendide ignorance virtuelle.

Malgré tout la vie, dans ce sens, est expressément dessinée pour créer de l'exponentiation d'un presque rien – pour se reproduire, se multiplier, à partir de l'infiniment petit. Il faudrait vraiment que les pessimistes abandonnent l'espoir de se faire valoir, leur monde n'est pas du nôtre.

Les grains d'espoir réaliste se logent partout ou ils trouvent prise. Pour devenir des perles, leurs hôtes ont besoin d'une courbe d'oxygénation et d'alimentation régulière et pour qu'on les apprécie, ces perles ont besoin qu'on les récupère.

Il faut une tissu propice, une culture à même de faire fleurir des solutions écologiques réelles. Le conformiste industriel jette donc ses énergies dans l'élimination de tout sou-strate propice pour que l'avenir du possible soit mort-né. Il est pessimiste, sinon il n'est rien, il se défend en attaquant l'espoir, là où l'espoir a l'habitude de pousser. Sa récompense, les ronces.

Mais l'idée que parce que les probabilités sont là, le chemin logique doit les suivre, est ainsi invalidée. Plus on généralise l'infaillible statistique (comme s'il n'y avait que cela de scientifique), plus on se met en otage à l'inévitabilisme: le destin en tant que doctrine. Le problème avec cela est que l'on crée le monde de l'inévitable en s'appuyant pour la prise de décisions sur les analyses d'anticipation statistique qui le confirment – qui ne peuvent que projeter les probabilités -jeter les dés pour entraver notre avenir.

Cette analyse indique qu'il serait mieux qu'on arrive à parcelliser à petite échelle un monde de grande échelle, tout en maintenant le liaison entre les deux – que par exemple des grandes entités nationales et supra-nationales ne peuvent pas répondre à nos besoins collectifs, à moins de créer des cadres qui laissent le pouvoir décisionnaire à des entités cohérentes à chacune des échelles de dynamique localisable, pour y cueillir les fruits réflexifs après. Un jardin bien réfléchi n'a besoin que d'être laissé à se faire, la plupart du temps, pour qu'on cueillit ses fruits.

de la frilosité numériquement induite

Des raisonnements: des protocoles; des cadres logiques: des itérations. Nous ne sommes que «des machines» à penser. Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas. Instinct, intuition, sens commun.

C'est comme si chaque expression devenait le cible pour les salves de son ennemi. Si les gens se réfugient dans la non-raison et exècrent l'intellectualisme, ils ont des fois bien raison, pense-t-on - pas de bravoure sans sentir le succès.

Le problème est l'apparent déterminisme des cadres logiques proposés. L'être humain est sous attaque depuis que Freud lui attribue des déterminismes structurels mentaux trop fixes, un peu à la «Fairy Tales de Grimm». La psycho-analyse nous achève – cherche les raisons de cœur supposément innées et enfouillées pour débusquer une raison devenue extrinsèque, déclarée, … analysable.

Ce sont les britanniques les plus résistants à cette vague d'absolutisme raisonnée qui ne donne pas son nom. «Soyez raisonnables» disent-ils, lorsque les extrémistes de la raison absolue tentent de les épingler. «Quand même, …!», ou «C'est un peu limite».

Peut-être toutes ces expressions ne veulent qu'exprimer l'importance du jeu et de la nuance, face à la rigidité dite «cartésienne». Cette rigidité peut se voir dans tous les dogmatismes, y inclus celui de «l'esprit» administré en antidote à «la raison». Le corpus de culture que j'ai stigmatisé de l'épithète «britannique» est important parce qu'il ne se réfugie pas dans l'absolu et il ne tente pas non plus d'abolir l'emploi de la raison, mais plutôt de chercher «le juste milieu», aussi inconfortable qu'il soit. Il est en fait adaptatif aux absolutismes auxquels il a du faire face – il sait maintenir le cap (une certaine cohérence) face au vent de proue.

«Vive la différence» est une expression très bien connue et très souvent utilisée en Angleterre – elle est, bien sûr, toujours exprimée en français - c'est l'une des rares expressions en langue française qu'on maîtrise. Il n'est donc pas tout-à-fait par hasard que Darwin a eu les moyens intellectuels de comprendre que pour que la spéciation et l'adaptation aient lieu, l'isolement, bien que temporaire, des populations, plutôt que leur constant métissage (brassage), soit un prérequis. Les anglais ont tendance à s'identifier avec une certaine fierté comme «nation bâtarde» – c'est a dire très métissée – ce qui est absolument vraie, surtout au niveau de leurs multiples cultures, qui se maintiennent en tension mutuelle. L'agnosticisme britannique dépasse de loin le sens de ce mot, se crée sans état laïc et sans état d'âme.

Il est dommage que le «Brexit» provoque un retranchement européen, à la lumière de cette analyse. L'Angleterre, dans sa digestion interne des empires externes, ne fait que miroiter notre sort collectif. Nous souffrons des mêmes maux que tout le monde, même un peu plus, et le mot «patchwork» s'est ré-employé d'abord en Angleterre pour décrire notre système champêtre, notre système d'«enclosure», qui s'est universalisé depuis … et comment! C'est sans doute, à l'origine, une adaptation culturelle à une démographie potentiellement affolante et aux tensions « cocotte-minute» qui en écoulent – préfigurant en symétrie fractale l'affreux élan démographique du monde entier - alors que nous avons déjà «immobilisé» notre campagne pour soutenir notre richesse, en rêvant d'ailleurs.

Lorsqu'on parle de «conscience collective» au singulier – de la transmission, de nos outillages et de nos technologies, il est légitime de se référer à des corps de connaissance culturelle comme celui des britanniques du fait qu'ils ont souvent étés les premiers à souffrir un mal de la modernité et ont donc eu plusieurs générations de génération du savoir-faire adaptatif aux problèmes – le paysage est ce qu'on peut appeler l'empreinte de sa «mémoire institutionnelle», pour le bien et pour le mal.

Le pays a en plus la qualité d'être assez grand, en termes de population et de convolutions côtières, pour modéliser vraisemblablement des problèmes à plus vaste échelle. Il est intéressant de noter l'imitativité des américains – sur leur îlot-continent – à cet égard, souvent plus anglais-parodie que les faux-anglais autochtones n'ont su l'être – puisque la présence de puissances continentales de l'autre côté de la Manche n'a jamais cessé de nous absorber l'esprit. Plus on est loin ... pour les écossais, le Continent représente la salvation de la gueule de «Big Brother». Le trop-absolutisme rationaliste, l'empirisme littéral de l'âge des lumières, sont le propre du collectif européen qui, de fait, occupe le continent nord-américain. Lorsque cette plaque continentale rencontre les premières bastions de l'Europe – les Îles Britanniques, elle fait des dégâts culturels: elle germanise, elle franchise, elle hispanise, elle lusitanise, elle latinise, pour ensuite être labellisée «anglo-saxone», une amalgame on ne peut plus paradoxale. L'Angleterre observe, sentinelle de l'Europe de toujours: elle fait le gué.

la pieuvre apprenante

La pieuvre nous donne des leçons sur la transmission et la sociabilité. Il est très intéressant de noter que ses petits, pendant qu'ils sont encore dans l'œuf translucide, enregistrent et sont formés par ce qu'ils observent et expérimentent dans la tanière de leur mère attentive. Les êtres humains sont nés «prématurés» – comme les petites pieuvres ils observent et ils enregistrent – ils «goûtent» à ce qu'il y a autours d'eux avant de devenir «acteurs» à part entière dans le grand monde. Pareillement aux britanniques – la deuxième phase dans l'apprentissage des pieuvres est de se trouver jetées dans les écumes des vagues en «flotsam and jetsam» («cannon fodder») pour des voyages qui ne peuvent que leur faire apprendre l'importance de l'adaptation à l'aléatoire dans la vie.

Dans le meilleur des cas, on rentre ensuite chez soi, bien équipé pour construire une vie casanière. C'est ce que font les pieuvres, en tous cas. Chaque nuit, ils sortent de leurs tanières, pour faire des promenades autour de leurs territoires chéris, en sentant la houle qui se défoule jusqu'au loin.

Or, la pieuvre est notée et notable pour être solitaire – avec les congénères il n'y a que peu de commisération – et plutôt en fin de vie. Elles peuvent cependant être grégaires – et leur «capacité» interactive est étonnante – changements de couleur, de texture et de forme, selon l'identité du prédateur ou de la proie qu'elles rencontrent. La «sociabilité» est déversée, dans leurs cas, surtout dans l'interaction avec plusieurs autres êtres – à part leurs congénères, si ce n'est que pour les maintenir à distance.

L'entre-soi d'une pieuvre est également très intense, elle a huit bras quasi-autonomes avec des milliers de ventouses collaboratrices, trois cœurs, deux yeux autonomes et des neurones partout. Le bas d'une pieuvre est plein d'intériorité tandis que le haut, à part, sert de plateforme aux yeux et le tout peut ou marcher ou se propulser moyennant son siphon et sa «jupe», ou encore s'insérer dans le plus petit des trous. De quoi se divertir tout seul, à l'infini. Les êtres humains partagent des facettes de ce jeu entre l'image mentale et l'interactivité dynamique, la plasticité de l'imaginaire et l'exigence du réel. Laisserons-nous la fractalité de nos vies nous échapper, par désir de l'autonomie absolue inatteignable? Pieuvreusement, j'ai l'espoir du contraire.

la méthode scientifique

«Trial and error» ... «destructive testing». La méthode scientifique suppose que l'on vérifie les hypothèses dans le monde réel - que l'on mesure les résultats dans le champs. En ceci, la dérive du scientisme a beaucoup en commun avec les «idées reçues», le «sens commun» et la tradition. A force de ridiculiser les us et coutûmes qui n'ont pas de base «scientifique», nous éliminons des corps de savoir faire importants ... tout en en infligeant d'autres qui n'ont que peu de temps opératif, en nous assénant de leurs lois de causalité rudimentaires.

règles de la fractalité

C'est par rapport à soi qu'on est fractal, finalement. On peut commencer par dire que c'est en interaction avec ce qui est le plus proche de soi que se bâtit la structure fractale, l'alterité la plus proche - la complémentarité, antagonisme, mutualité la plus proche, les sosies de soi. Les pieuvres et les humains vont beaucoup plus loin. Ils peuvent se contenter pendant de longues périodes avec les histoires qu'ils font courir dans l'intérieur de leurs machines à rêves, leurs têtes et leurs corps, une sorte d'involution du monde externe, un animisme affûté à l'énième.

L'indéterminisme causal réquiert ce dynamisme précaire. Les neurones miroirs signalent la moindre asymmétrie ou faille dans un dessein, elles s'alignent face à ces fentes dans la réalité plausible. Pourquoi un si grand nombre de neurones - nos cerveaux sont-ils un genre de cancer? Nos cerveaux, pourquoi ne prennent-il jamais de pause? Plus ils ont de l'information, plus ils en extrayent de la pertinence. Quel est le gain, dans ce tri incessant, interminable? Cela ne nous laisse même pas le temps pour réfléchir, c'est les rails qu'il nous faut observer, pour rouler dessus, voilà tout.

Les renouvelables, le développement durable, ces vieilles dogues. Le scénario fait songer à une histoire d'avion perdu dans les Andes avec un équipe de joueurs de rugby dedans. Les survivants ont leur esprit de corps, leur vigueur comme atouts. Ils les convertissent en cannibalisme. Ayant consommé leurs camarades, les derniers survivants pensent finalement qu'il vaudrait mieux sortir de là. Soyons positifs, comme eux! Mais pas juste pour masquer la déroute, l'effort requis est de relier la positivité aux raisons pour l'être. N'ayons pas peur de notre pouvoir démocratique - il est basé sur l'alternance! L'échelle du catastrophe déferlant commence à correspondre au cycle electoral, tellement il raccourcit - même un politicien raisonnable peut s'y risquer un peu dorénavant - à dire que le développement durable ne durera point - qu'il faut quitter l'avion.

J'ai toujours eu l'impression que les mots avaient un usage similaire aux pierres dans une rivière ou sur une côte. On saute, de l'une à l'autre, en perdant de vu la fin du chemin, pour se concentrer sur l'équilibre précaire de chaque bond en avant. On avance ainsi très bien, pour atterir pas trop loin du point visé, sans réelle intelligence du chemin qu'on a parcouru. C'est même une méthode: on choisit le cap, on met l'autopilote, on dort. Mais la barque, la barque, il faut la quitter!