dimanche 7 mars 2021
« Arbitre ». « Libre ». Est-ce que ce sont des mots qui vont très bien ensemble ?
Bizarrement, oui. Exercer son libre-arbitre, c'est exercer sa propre liberté décisionnaire. Un arbitre est celui qui tranche, qui décide. N'empêche que l'emploi de cette expression se fait souvent dans un cas plus contraignant : dans le but de remettre sur l'individu la responsabilité de ses actes, bien que le contexte dans lequel il agit n'y soit pas propice.
Le mot « arbitrage » sert souvent de remplaçant pour le mot « jugement ». Dans le sens de « décision » tranchée entre deux ou plusieurs positionnements.
Les gens disent à maints répétitions aujourd'hui « Il ne faut pas juger », mais mettons qu'ils disaient « Il ne faut pas arbitrer » ? On fait quoi alors ? Qui décide ? Chaque acte, chaque enchaînement d'actes représente une décisions. Qui décide ?
Le cadre dans lequel on décide est souvent « décisif ». Il détermine avec une probabilité haute ce qui va se passer. L'arbitrage est la reprise en main de ce sentier décisionnaire. A la base, il est une représentation de la possibilité d'être coopératif et mutualiste dans la prise de décisions sur son propre sort.
Cette idée se manifeste dans un autre mot qui a la même racine – « arbitraire », qui est défini dans le Petit Robert comme ce « qui dépend de la seule volonté, qui n'est pas lié par l'observation des règles ». C'est beaucoup dire. Si. Il y a une règle, que les partis soient volontaires pour accepter que le différend entre les partis soit tranché. L'encadrement réglementaire qui ne laisse aucun pouvoir de participer à la décision aux partis, c'est ce qu'il y a d'arbitraire là-dedans.
Le cahier de charges du libre-arbitre
Maintenant, appliquons ces raisonnements au cadre administratif de toutes nos vies. Qui a libre-arbitre ? Qui a droit à l'arbitrage – et par qui ? Quels sont les déterminants ? La « subsidiarité » est un concept déployé dans une tentative de faire face à ces questions. Ce principe veut que chaque décision soit prise à l'échelle qui lui est propre. Le problème est que les moyens techniques mènent à un pouvoir décisionnaire réel qui ne respecte qui n'a même pas d'idée de ce que c'est, une échelle. Le rapport ainsi établi avec les moins forts d'entre nous, même chez eux, dans leur intimité, est un rapport de force, sans arbitrage, sans qu'ils aient aucun pouvoir décisionnaire.
Tout « savant » pense apprécier ce problème. Il faut avancer. Il faut changer de paradigme. Les gens vont bénéficier de l'intelligence collective qu'on leur apporte. Ils ne sont pas équipés pour le faire assez rapidement eux-mêmes, de leur propre volonté. Le cadre administratif va permettre d'opérer les changements, décidés par les savants, dans le temps voulu.
Tout cela paraît bien raisonnable. Pourquoi, donc, est-ce que cela ne marche pas ? Déjà, est-ce que c'est vrai que cela ne marche pas, ou au moins que cela n'a pas marché ? Au niveau du secteur industriel, cela a plutôt marché. On pourrait dire que pour le citadin lambda, aussi. Il achète ce que produit l'industriel, il se transporte dans sa voiture et il utilise le portable. Toutes ces choses augmentent "sa" capacité physique et mentale de manière considérable.
Sauf qu'il n'a l'exercice d'aucun libre-arbitre. Il n'arrive même plus à bien parler, puisqu'il y a divorce entre parole et acte. Ses actes sont les actes prescrites – mais l'asservissent plus que jamais aux variables qui lui échappent.
« I'm the urban spaceman. I don't exist » (David Bowie) est à peu près le summum de ce paradoxe.