1 mars 2014

Le lien et non pas le bien

On a parcellisé la terre, et ainsi faisant on a déchiqueté notre milieu de vie. Aussi grave que cela puisse paraître comme constat, ce n'est pas loin de la vérité.

Le Vivre avec la nature n'est pas toujours facile, surtout lorsque le taux de déprédation arrive à un certain seuil, imaginons que nous sommes tous des grands nomades, les chevaux, les chèvres, nos familiaux et nous.

Nous ne sommes pas faits pour manger en surface contenue, sinon pour brouter au large, sur des surfaces énormes, pas autant des territoires sinon des couloirs de passage entre les pâturages saisonniers. Nos grands cerveaux servent d'atlas de randonnées dans notre parcours de vie. C'est, en quelque sorte, notre intelligence commune.

Et tout cela s'écrase lorsqu'on nous contient, d'autant plus si c'est dans des logements serrés. Nous avons besoin d'espace, mais en tant que bons sédentaires, c'est au mètre, hectare ou kilomètre carré que nous nous bornons. Ayant perdu l'esprit du broutage intelligent, nous sommes devenus des bovins paisibles, alimentés ... allez, gavés comme des oies, notre fonction dans la vie, être consommateur, et ainsi faire tourner le monde du fric. C'est, dans le cadre présent, notre devoir citoyen.

Qu'est-ce qui se passerait si on cherchait à étendre les liens, d'abord entre et dans les biens - les surfaces desquelles nous construisons notre monde conceptuel, nos espaces vitaux, nos territoires notre chez nous, et ensuite en cassant les rectangles, les barrières, les clôtures, les murs qui ne servent qu'à nous séparer?

Pour les remplacer avec quoi? Au plan physique, des chemins à l'échelle humaine et animale, au bord desquels on broute et on trouve de quoi vivre. Le chemin est dans les termes du biotope une lisière, c'est-à-dire l'un des endroits les plus productifs, tant en vie animale que végétale, construite de plusieurs couches tant verticales qu'horizontales, ayant comme définition même d'être à la marge.

Ici j'explore l'idée assez géométrique de points et de tracés, traces ou chemins, les points étant des formes de vie telles que nous-mêmes, ou le tronc d'un arbre, en coupe latérale, les chemins étant simplement des parcours, des lignes. J'oppose ces idées à l'idée de l'occupation de plus en plus d'espace et de volume. Si ces concepts étaient adoptés par suffisamment de monde, ils pourraient réduire d'un coup le besoin apparent d'une consommation acharnée - et ils pourraient le réduire de manière dramatique, de plusieurs fois moins que dans l'état actuel des choses.

Le lien physique prendrait le relais du bien  - le monde capitaliste dans son incarnation actuelle s'évaporerait comme s'il n'avait jamais existé.

Le besoin politique présent de restimuler sans cesse la méfiance à l'égard des dépendances sur d'autres êtres humains - le culte de l'autonomie - la production de l'insécurité afin d'atomiser la résistance politique pourraient être remplacés par la confiance du lien - chacun d'entre nous en chaque autre qu'il connaît et qu’il rencontre – la loyauté, la solidarité, comme des biens publics d'une valeur réelle.

Ce qui est notable de l'époque industrielle, née de l'Age de la Lumière, c'est l'abandon du lien transversal et son remplacement par un ordre - une hiérarchie absolue. On pourrait dire que dorénavant notre pensée est restée dans la camisole de la propagande contre le féodalisme qui a inauguré l'âge de la lumière - il fallait militer contre et oblitérer dans la mémoire collective l'idée féodale du lien, jusqu'à nos jours cette dépréciation systématique tient bon. Les exceptions sont clés - le mariage et le lien de l'enfant avec ses parents sont attaqués mais difficilement par les champions de l'âge de la raison.

des points

Nous ne sommes que des points, nous nous rencontrons et nous partageons l'infime comme s'il était synonyme du monde entier, nous n'avons pas besoin de plus que ça

... et cependant, la nature qui nous entoure ne peut pas se déplacer en Auvergne, faire un transfert de ses biens à destination de New York, casser son propre écosystème et avoir l'espoir de perdurer, déménager et en trouver un autre.

La nature est, de toute apparence, assez sédentaire, dans ce sens. Comment donc vivre léger, vivre libre et à la fois participer au bien-être de la nature autour de nous?

La tâche se facilite du fait que des points qui ne cherchent plus à occuper de l'espace, ou tout au moins de l'espace constant, réduisent de beaucoup notre fardeau parce qu'il y a moins de tâches - on a des sentiers à entretenir, mais on peut facilement s'en passer de plusieurs œuvres de construction et aménagement qui sauront être dépassés par la réduction des besoins humains.

Et il se passe que la modélisation de ce possible avenir errant démontre que la défense de la nature, dans ce cas, est aussi la défense des milliards de gens aujourd'hui sur la planète. Plus on réussit à utiliser l'intelligence et le lien humains, plus on rend l'humain nécessaire et fonctionnel. Le paysagisme bio, la co-responsabilisation et le partage sédentaire-nomade des tâches d'entretien des terrains dont les deux tirent bénéfice rendent obsolète le conflit des intérêts qui existerait dans un système concurrentiel. Une fois les éléments de base introduits, calculés pour être efficaces en termes d'énergie humaine, on gère la nature jusqu'au point où elle sait se gérer toute seule, en harmonie avec nos besoins tant récréatifs que productifs.