dimanche 2 juillet 2023
Cela a été un weekend assez chargé. Si j’ai hésité à faire un News Digest le vendredi, c’est qu’avec deux ou trois réunions le vendredi et samedi, suivi de dimanche à l’Agropolis toute la journée, cela n’aurait pas eu de sens.
Commençons par cet événement, l’Agropol’eats, de 10-23h ce dimanche. Cela s’est passé au bord du Lez et autour du Moulin des Canoës.
Il y avait pas mal de confusion sur le thème central de ce festival – apparemment c’était la crise de l’eau, mais aussi de la bouffe. Un point de fierté de l’organisation était que le repas (10 euros) venait tout de pas plus de 80km de Montpellier, … et avec un peu d’hésitation, … sauf les épices, bien sûr.
Je rajouterais « sauf l’énergie fossile ou électrique » – il paraît que 70 % de ce que l’on mange, c’est de l’essence – à moins qu’ils voulaient dire que c’étaient des hydrocarbures raffinées localement, et que les camions étaient naturalisés 34. Et il faut mentionner que l’eau, elle vient de plus en plus du Rhône, un peu plus loin.
Le maire de Grabels, qui était plutôt astucieux et franc-parleur, expliquait les complexités et conflits administratifs assez clairement. Il mentionnait la politique que j’admire, franchement, dans la métropole, de donner les premiers mètres cubes d’eau avant de pénaliser la surconsommation par degrès, chapeau. Je l’ai entendu très tôt le matin sur France Culture, il y a deux ou trois mois, parler dans sa fonction de gestionnaire de la régie des eaux dans l’Hérault. Il a été encore plus franc à la radio qu’en personne. Néanmoins, son analyse restait dans les mètres cubes et la tuyauterie – comme si l’eau était faite pour être séquestrée. Mais je crois qu’il était trop rôdé dans la diplomatie du langage intelligible aux vignerons et à la FNSEA pour faire autrement.
D’ailleurs, rappelons-nous que l’un des tabous maintenus dans cet événement était celui d’éviter la proposition d’expulser en masse les quelques viticulteurs qui restent à la campagne, avec leurs machines, entre les résidences sécondaires et les gîtes de vacances vacants. On maintient la fiction que l’on pense encore pouvoir les convertir. On dit aussi penser que les urbains n’ont aucune aspiration à devenir ruraux. On dit « il faut des idées radicalement nouvelles » … mais non, en fait, pas celle-là.
Les autres intervenants choisis pour la table ronde étaient des experts de toilettes sèches, un consultant, une adjointe (maire aussi) de la métropole, une responsable de la région (Aude), un practicien (Olivier) de méthodes beaucoup plus consonantes avec la réalité, au niveau pratique, qui travaille au sud du Maroc, en zone aride. C’était le seul, à mon avis, qui avait la moindre idée de ce qu’il faut faire, et pourquoi, sur le terrain - mais au Maroc. Il y avait deux sessions, j’espère que je n’ai oublié personne.
Selon Reporterre, une ville qui s’est trouvée à sec, dans les P.O., a commencé à faire des trous dans le béton, pour désartificialiser – on voit des photos. J’ai noté qu’on fait pareil à Montpellier maintenant. Ce qui est assez amusant, c’est que ces endroits minuscules ne sont pas aménagés pour que l’eau s’écoule dedans, puisque on a oublié encore de créer les canalisations qui y amènent. Ils sont purement cosmétiques, pour l’affichage, jusqu’à là, des mètres carrés sur un plan. Un contact architecte-paysagiste sur des grands projets de construction autour de Montpellier m’a raconté jusqu’à quel point cela lui a été difficile de faire introduire des surfaces poreuses, capables de faire l’éponge, entre bâti et route. Ce n’est pas encore dans le lexique des développeurs, il paraît.
Entre la loi, et ce qui continue de se faire, par ceux censés l’obéir, il y a un gouffre visible – et contagieuse, d'impunité climatique. On l’a expliqué dans ces réunions, composées presque exclusivement d’étudiants, de professeurs et d’organisations locales autour du « fleuve » Lez, friandes de « la nature », à l’exclusion du peuple nuisible et incorrigible. Je me demande combien d’entre eux ont vu le film « De l’Eau jaillit le Feu », qui montre l’assèchement et l’eutrophication du Marais Poitevin, autre espace Natura 2000, grâce aux mégabassines de quelques méga-agriculteurs industriels.
De l’autre côté de la rigole (OK, fleuve) Lez, une série de champs industriels irrigués nous regardent, en rigolant silencieusement. Un intervenant mentionne que l’on va tenter d’insonoriser la voie express qui perturbe le silence studieux de l’Agropolis. C’est dans le cadre d’une consultation publique sur quoi faire du triangle de Bermude, pardon du Zoo de Lunaret, encore plein de choses que l’on « va faire », alors que les bâtisses et les friches restent résolument vacantes. J’ai noté que les scouts de France (ou les éclaireurs, peu importe) ont une capacité assez impressionante d’« occuper » des bâtiments sans y être, la plupart de l’année, presqu’à l’égal des autorités locales. On a parlé aussi des chiffres pour les terres potentiellement productives autour de la métropole, fragmentées et non-entretenues, en attendant Godot. Cela aussi, c’est contre la loi, normalement.
Mais l’un des intervenants a eu la grâce de contraster la perception d’un décisionnaire qui allait d’un endroit climatisé à un autre toute la journée, avec l’expérience de celui qui est en train de s’écrouler de chaleur dans la fournaise des mal-logés à Figuerolles ou des logements sociaux de la Mosson. Comment se faire entendre ? C’est comme ça depuis Marie-Antoinette et sa malheureuse phrase. Je sais qu’à cet événement, au moins, il n’y avait aucune place donnée aux pauvres, qui n’étaient pas là, en tous cas, sauf moi. Je n’avais qu’à regarder les autres manger leurs légumes bio et à mendier un gobelet en plastique pour prendre de l’eau. La serveuse voulait me donner un euro quand je lui ai redonné le gobelet. « On me l’a donné » je lui ai expliqué, en refusant la pièce. Elle a eu du mal à comprendre. On ne « donne » pas, sinon les gens s’en vont avec. J’ai vu un gobelet d’un euro, étiquetté Agropol’eats, partir comme une cygne sur les eaux – ils n’ont pas pensé à ce que, pour un riche, surtout bourré, un euro n’est rien.
J’ai pu parler, dans les tables rondes. Ils pensaient que c’était une question, mais j’ai expliqué que ce ne l’était pas, puisque c'était une table ronde ! J’ai dit que les décisionnaires étaient devenus complètement hors sol – comment voulaient-ils créer une politique consensuelle, avec une société active, si cette société était totalement habituée à ce que « les experts » s’en occupent sans les importuner ? J’ai sans doute touché à un nerf un peu sensible, c’est quand même l’enseignement qui est leur métier. Des hardes d’enfants passent entre leurs mains chaque trimestre. Mais c’est un enseignement qui échappe à peu près totalement aux classes populaires – qui votent. Est-ce qu’il y en a, d’entre ces milliers d’experts affûtés, quelques uns qui ont pensé sérieusement à comment communiquer leur expertise à tout le monde, et rapidement, pour qu’ils puissent voter de manière éclairée – et (ne vous évanouissez pas) peut-être faire quelque chose d'utile eux-mêmes ?
C’est très préoccupant, j’ai eu la forte impression qu’aucun d’entre eux osait dire « Oui, c’est nous qui avons merdé, grave, pendant les vingt dernières années, et c’est pour cela que nous vivons dans un quasi-désert aujourd’hui ». Non, le refrain était plutôt, « moi, personnellement, j’ai fait de mon mieux, la responsabilité pour cette catastrophe déferlante, il faut la chercher ailleurs ».
Oui, mais vous, et vos milliers de collègues hydrologues, agraires, etc., l’ont vécu grassement, pendant ce temps-là – en hâtant notre suicide collectif avec de nouvelles méthodes industrielles, ce n’est quand même pas rien.
On peut remarquer que le désavantage des institutions tellement vastes, c’est que l’on peut passer des décennies dans un laboratoire à écrire des algorithmes pour mieux analyser des images de microscope, sans jamais se sentir responable de quoi que ce soit, au niveau des décisions stratégiques de l’institution. J’envoie ce lien – d’un syndicat du CNRS qui se plaint d’être contraint à envoyer des gens sur la lune, sans consultation, une décision sans doute politique qu’il rejète, pour des raisons écologiques, mais surtout parce qu’il n’a pas été consulté avant la prise de décision.
https://espacetests.sud-recherche.org/SPIPdev/spip.php?article3270
Sans que cela change quoi que ce soit, le CNRS ayant une hierarchie de fer, strictement vertical. Les universitaires/académiques ont ceci d’amusant, en commun avec les organisations « non-gouvernementales » (les assocs.), ils se parlent en chuchotant en petits groupes, pour ne pas risquer d’être entendu par des gens de l’extérieur, sur leurs conditions de travail, leur maltraitement, tout ça, pour ensuite présenter des fronts à peine désunis pour défendre leurs institutions (leurs boulots) devant le grand public.
Laissant le fardeau de dire l’indicible (et l’anathème) à des gens comme moi. Merci.
Comme ce feu qui jaillit de l’eau, de telles langues de bois (sec) risquent d’enflammer la situation, surtout en période d’étiage – elles ne font plus sens – ne disent absolument pas ce que peuvent FAIRE les gens, pour eux-mêmes contrer cette crise hydrique. Ce serait même un peu intelligent, politiquement, de reconnaître publiquement l’existence d’une opposition écologique – un schisme – au sein de ces institutions, pour tenter de faire exister un débat raisonné dans le sphère public.
Et pour trouver un moyen de reconnaître ses erreurs, sans perdre la confiance du public. Hypothétiquement.
Il devient absolument nécessaire de présenter des fronts unis, au niveau local, qui intègrent de plus en plus les populations profondément touchées. C’est une évidence. Mais pas à Agropolis. Agropolis, qui s’occupe du sol, est vraiment hors sol, à Montpellier, dans le sens que sa volonté affichée d’impliquer les populations locales a comme résultat la consolidation d’une petite élite d’experts, leurs followers, familles et contacts sociaux, un peu comme dans une « fête de village » pour l’élite intellectuelle scientifique, ponctué par les décibels insupportables du mégaphone et des amplis qui tuent toute conversation d’un bal de village.
Passons outre.
La prochaine réunion à raconter, c’est celle de l’organisation des hyper-terroristes écolos qui va sous le nom de « Soulèvements Montpellier ». C’est à peu près les mêmes gens qu’à Agropolis, grosso modo – pour illustrer la petitesse du mouvement politique écologiste – c’est vraiment ridiculeusement minuscule, étant donné les enjeux de vie ou de mort collectives qui nous font face. Je ne vois pas, non plus, pourquoi nous ne pouvons pas l’avouer. Nous avons échoué, presque totalement, à mobiliser le soutien populaire autour de notre problématique, qui est maintenant associée dans la tête des gens avec les ZADs (l’anarchie chaotique et violente, mais qui n’est plus cantonnée dans le banlieue) et qui touche donc les intérê ts d’une minorité des riches qui vivent à la campagne, hors sol.
Il faut quand même reconnaître qu’ils ont plutôt raison dans leur analyse, sauf pour la violence – on ne sait absolument pas s’organiser.
Les Soulèvements de la Terre a donc eu sa deuxiême réunion le samedi avant la fête d’Agropolis. J’ai appris, d’une personne qui a rapidement listé une série d’événements cet été, qu’elle « n’avait pas le temps » d’en informer le mailing list, je ne suis donc pas en capacité de vous en dire plus.
En tous cas, ces « événements » étaient plutôt ailleurs qu’à Montpellier. Le mailing list de Montpellier est maintenant (ou bientôt) censuré de fait, étant aboli, d’après ce que j’ai compris (‘on’ l’a proposé à la réunion, et ‘on’ fait plutôt à sa guise, jusqu’à là) et l’eau de l’information locale rentrera de nouveau dans l’obscurité de sa tuyauterie souterraine. C’était l’un des sujets qui a pris beaucoup de temps – comment « sécuriser » les communications. Apparemment la solution serait de ne plus se communiquer et surtout de ne pas s’identifier. Etant donné que l’on se connaît à peine, ce n’est pas un bon début.
Le groupe de travail « gouvernance » a, de manière un peu trop voyante, trouvé manière de s’imaginer « la Gouvernance » et point, dans les deux semaines sans AG, un peu à l’instar de Napoléon dans la Ferme des Animaux, et a même inventé de toutes pièces un groupe (2 personnes auto-nominées) d’urgence qui allait prendre toutes les décisions, entre les AGs. Le Groupe de Travail Science a eu droit a quelques mots, en fin de réunion, au moment où tout le monde ne pensait qu’à se casser. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec les autres groupes de travail.
On a ainsi réalisé le coup de ne pas parler de stratégie, la « stratégie » actuelle étant de soutenir ce qu’a déjà décidé Ou la la le lien (contre l’autoroute) et Coord’Eau (coordination de l’eau dans l’Hérault) qui sont en tous cas à peu près les mêmes gens, à quelques kilomètres près.
C’est ça, l’essence de l’expérience que j’essaie de capter, un ou quelques groupes vraiment petits, avec zéro proposition stratégique ou même politique (juste des obsessions partielles – exemple « toilettes sèches », ou « un événement par rapport à 7km d’autoroute à six mois de maintenant ») sur quoi faire, pour remplacer le système qu’ils attaquent. Je spécifie : le système de transport routier, quelle est la proposition, avec ou sans voitures, et si sans, comment ?
Et qui sont vénères, en plus – ils ne veulent aucun débat et aucune proposition concrète, non plus. Si l’on a encore le désir que le groupement existe, c’est qu’il n’existe aucun autre moyen d’échanger, au niveau local, et de ne pas se sentir seuls – il faut quand même un minimum de corps physiques rassemblés, si ce n’est que pour prendre la photo. Mais je suppose que ceux qui ont les moyens de faire des sauts à Lyon, Toulouse, Marseille, Paris ou Strasbourg, à Notre Dame des Landes, le Marais Poitevin ou Clermont l’Hérault, vont progressivement se détacher des ploucs sans essence, qui seront réduits à les voir passer comme des étoiles, au-dessus de leurs quartiers chauffés à blanc.
Je ne me suis pas senti seul parce qu’une très vieille dame est venue me chuchoter, avant de partir, qu’elle était très d’accord avec moi, qu’elle-même, elle faisait pousser des plantes sur son balcon (on sait que c’est dans les bidonvilles, sur des surfaces minuscules et sans aucun expert qu’il y a l’usage le plus efficace de l’eau pour faire pousser les légumes), et elle m'a dit « pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas répondu à votre question, hein ? » – j’étais super content, en fait, de ce petit acte d’empathie. Une autre dame a eu la gentillesse de me remarquer que j’ai mis ma chemise à l’inverse, tout le monde n’est pas mauvais.
Il m’arrive de penser que dans ce monde de machines, nous sommes maintenant considérés comme des idiots qu’il faut gérer, idéalement cloués sur place avec des puces pour tracer tous nos mouvements, des « rule-based-systems », c’est-à-dire des intelligences artificielles des années 1980, tandis que les algorithmes numériques ont la liberté de créer, en libre association d’idées, sans devoir prouver qu’il y a méthode à leur folie. Moi je pense que celui qui le pense l’est – et que si la solution technique est de demander à Chat GP machin, bye bye celui qui pense de lui-même.
Si je n’écris pas de la fiction, c’est parce que les faits sont là et l’on m’a dit qu’il faut absolument un récit.
L’autre événement – auquel je n’ai pas pu assister, c’était sur l’alimentaire, à la Mosson, il y avait clash d’horaires, à part le fait que c’est devenu un peu zone de guerre, ces derniers jours. ‘On’ m’a expliqué que c’est parce que ce sont des groupes exclusifs. Donc, pas de quoi manger, non plus, on se sent un peu intercalaire.