lundi 18 décembre 2023
Le premier pas envers la reprise du pouvoir décisionnaire populaire, c’est de créer une expertise générale – que tout le monde devienne « expert ». Les lobbies industriels doivent cesser d’exercer leur pouvoir arbitraire.
Les pouvoirs publics ne veulent pas ça, pour des raisons évidentes. Le peu de pouvoir qu’ils exercent, la main posée sur la manivelle, ils l’exercent à travers ces lobbies, la seule courroie de transmission disponible. C’est le problème, établir d’autres flux, d’autres systèmes capillaires, mais pour cela il faut faire face à ce monde industriel, qui élimine la concurrence pour éviter de changer, lui. C’est la non-neutralité de ce problème qui mène, tout naturellement, à la compétition systémique.
Il nous faut proposer une solution systémique. Face à une monoculture, celle des routes à voiture, il faut savoir en créer une alternative. J’ose dire que c’est tout simplement une question d’échelle, de taille et de temps. À hauteur d’homme, ou de « poids lourd » ? Nous ou les dinosaures ?
C’est peut-être un peu libertaire, ce que je vais dire, mais ce n’est qu’un élément – ceux qui valorisent la liberté, valorisent la liberté décisionnaire de chacun. À hauteur d’homme, cela veut dire cela. L’être humain, comme espèce, a sa taille, a son rayon et son rayonnement, sa temporalité, des caractéristiques qui ont évolué dans et par rapport à la nature qui l’engrène. On n’est pas de la taille d’un éléphant, on est plutôt gracile.
La question est très démocratique, cette liberté d’interaction, cette immersion humaine dans le monde, c’est une hygiène de vie, une « thérapie » cognitive. L’artificialisation de nos vies – de notre expérience d’être en vie, est à mettre en cause, comme source du mal écologique. Les routes laides, éternelles, toujours les mêmes, les sentiers humains inaccessibles, incertains, tout ce qui nous conduit envers la soumission industrielle, dans sa dimension « échelle », est à mettre en cause.
Actuellement, on n’ose pas le confronter, par peur d’être accusé d’être anti-humain, irréaliste, par rapport aux normes sociales existantes. Or, être humain consiste en être hostile à la déshumanisation, il me semble. La tribu des quatre quatre se parade, comme si à elle seule, elle représentait l’esprit populaire, « la vraie culture », dont les excès identitaires débordent actuellement.
Comme des parades de blindés devant le Kremlin, des démonstrations de puissance véhiculée.
À hauteur d’homme, c’est une question de revalorisation de l’humain, devant une culture qui nous déshumanise. C’est une question de taille plutôt que d’hubris. On se trouve face à une autre culture, de ceux qui ne se sentent vraiment humains que lorsqu’ils sont branchés à leurs machines, c’est une question de familiarité. Et au niveau personnel, on n’a peut-être pas trop envie de baigner dans une atmosphère de canicule, on préfère son Jeep air-conditionné. Liberté de suicide collective, dans l’occurrence.
La question de faire renaître nos interactions sensées avec la nature n’a jamais été aussi brûlante. J’ai le sentiment de ne dire que ce que nous avons tous derrière la tête. Il y a, une sorte de nervosité, de peur de mettre ces idées en relief, comme si on avait peur d’être déclaré « déloyal » au système présent, tout en l’étant, de plus en plus, c’est énorme. Le système industriel s’est accaparé de 90 % du vivant, de la biosphère, toute la biodiversité est compactée dans le dernier 10 %, le dernier kilomètre, personne n’ose lancer le défi à ce qui les nourrit, les aspirations, tout,commeune article de foi.
jeudi 21 décembre 2023
J’ai oublié, dans mon élan de dégoût du système actuel, de décrire mon idée du genre de système de transport rural qui pourrait ré-insuffler la vie à la campagne (quand je dis campagne, vous pouvez lire « le gros de la surface encore vivante », « campagne », c’est plus court), remplir les cases de l’écologie socialisée, bio-compatible. La vie c’est le vivant, le vivant qui a toujours existé, comme possibilité, qui est devenu un mot courant dans la dernière décennie. Ce qui vit. Il ne suffit plus d’un nom abstrait – La Vie – il faut un mot qui communique la continuité de cette vie, encore vivante, précieuse. Nous sommes tous des vieux qui fuient la mort, c’est improbable, elle est devant nous.
Donc je rajoute cette annexe à mon esquisse caricaturale de la journée de la mobilité lozérienne.
Désabusé j’ai été, de constater qu’il n’y aurait aucune opportunité pour les présenter dans le cadre de la journée. Que j’entendrais les vœux pieux des facilitateurs sur « l’intelligence collective », que je m’insurgerais chaque fois plus en voyant ce système si efficace de manipulation de groupes pour éliminer la raison, pour éliminer l’inventivité. L’argent fait ça, il réduit des questions pratiques à des options d’achat, il sectionne notre cognition de la terre.
jeudi 28 décembre 2023
Que faut-il ?
Des gîtes de passage, de l’hébergement, de la restauration, des lieux de stockage, des travaux physiques, dans le potager, dans la récupération, cueillette et transport de produits locaux, dans leur transformation, une véritable infrastructure locale à l’échelle humaine.
Les marchés hebdomadaires sont la clé de voûte de ce système alternatif, ils rythment le quotidien, permettent d’établir des circuits, d’éviter les allers-retours. Dans ce système, s’il faut subventionner quelque chose, c’est le transport sans voiture. L’anomalie est là – un système sans transport motorisé coûte beaucoup, beaucoup moins cher que le système actuel. Cette réduction des « frais d’entreprise individuelle » met en question la viabilité du modèle industriel. Elle met en question les fondements du système. Si une personne peut bien vivre, en cultivant des légumes, sans voiture, elle a besoin d’être moins payée, parce qu’elle consomme bien moins d’énergie pour réaliser ses fins.
La politique, l’encadrement politique et administratif de nos vies, à la campagne, se dresse contre cette possibilité, c’est l’équivalent d’un effondrement du PIB, une perte de poids à l’international dramatique, une terra incognita qui donne le vertige.
Mais si l’on prend ce pas vers l’avenir possible, on n’arrête pas d’acheter les légumes du coin, ni de les faire pousser de par ses propres efforts. On rétablit les circuits courts. À vrai dire, et ceci depuis un certain moment, qui se mesure en décennies, le seul mérite du financement central étatique, de par nos impôts, c’est que cette dividende nous a permis d’acheter des voitures et de rouler. Mais si cela passe de mode, on reste avec des milliers de tonnes de véhicules rouillés sur les mains, qui ne servent à moins que rien.
J’explique ainsi la tour de cartes que nous avons construite, et qui risque maintenant de s’écrouler sur elle-même. De cette manière, on peut mieux apprécier les enjeux, la trouille que peut sentir tout employé, tout fonctionnaire, à voir disparaître son boulot. De se trouver dehors, dans le froid. De se trouver mal à l’aise, en manque de confiance, face au milieu naturel.
On s’emmure. On s’amalgame avec les machines qui font notre joie, qui nous défendent, qui nous isolent du mal. On collabore avec le système qui détruit son identité et son amour propre.
On s’attaque aux donneurs d’espoir, d’alternatifs, comme des mauvaises herbes, des erratiques. Ayons tort, tous ensemble ! Ne montrons pas de failles ! À vrai dire, on ne peut pas agir autrement, soutenir son destin c’est un acte, sans cesse, d’élagage, comme une faucheuse de bord de route. Le système industriel est fait pour s’imposer, pour intolérer la moindre différence.
Jusqu’à là, on a résolu le problème d’échelles en tuant tout ce qui n’était pas à l’échelle industrielle. Microbiote, insectes, virus, tout. Pas compliqué. D’ailleurs, nos machines s’occupent du compliqué et du casse-tête, pour nous, quel soulagement !
Mon idée serait déjà de ne plus faire cela. Ou bien, de faire autrement et de propager le phénomène. Lorsque les écologues se montrent optimistes, alors que beaucoup d’entre nous pensent que tout est foutu, c’est parce qu’ils connaissent le vivant. Dans des conditions propices, le vivant se multiplie, mais très rapidement, bien plus rapidement que l’industriel en est capable. Les friches industrielles, les orties et les ronces en sont les témoins actifs. Ils font revivre ces endroits avec leurs salaires.
C’est un feu vert pour nous, le feu rouge, le canicule, il devrait nous communiquer le sens interdit.
Et c’est pour cela que la pensée écologique sociale est une pensée d’avenir, là où la stérilité du débat industriel s’auto-combustionne et s’étouffe. Les écologistes ne sont pas optimistes, sinon clairvoyants, ils voient de possibles jours heureux, là où l’industriel s’entête à réconcilier l’irréconciliable. La science est « optimiste » parce qu’elle devient de plus en plus bio-orientée, non-industrielle, spécifique et ciblée sur des problèmes d’ensembles du vivant, dont nous.
Cette révolution idéologique se manifeste dans les milieux intellectualisés, en contraste forte avec la pensée dite populaire, instrumentalisée par des démagogues. Je ne peux m’empêcher de penser que la force des idées vaincra, et que le monde industriel est en train de se briser devant nos yeux, que nous sommes témoins de ses ébats auto-destructeurs, de sa sévérance forcée de toxicomane. Une société devient très toxique elle-même, à ces époques d’ajustement inévitable, où le foie fonctionne mal et la bile s’injecte dans le sang. Cela nous chamboule.
« Respecter les normes environnementaux. » « Concurrence déloyale. »
La démocratie représentative, où l’on vote périodiquement pour mettre en place des décisionnaires à plus grande échelle, conduit à un renoncement dans la vie de tous les jours à la participation aux décisions organisationnelles. Cela conduit à son tour à une anarchie de fait, une abstention du collectif, une intelligence collective de l’art du déni, de l’extranéité qui lui-même s’abstient de tout ce qui ne relève pas de sa responsabilité spécifique.
Les villes lentes, le lo-tech, l’anti-techno-solutionnisme, la relocalisation.
J’essaie d’énumérer quelques-uns des sujets dont on parle aujourd’hui. D’autres sujets « catégoriels » comblent l’ordre du jour médiatique; les femmes, les questions identitaires, les plages horaires se remplissent, la fourmilière inter-communicative fourmille, fructueusement.
Mais en réalité, ce ne sont pas du tout des problématiques d’actualité, mais d’époque. On les approche par le mauvais bout en partant des faits divers -il y a besoin d’analystes relativement distants de la politique politicienne, mais comment passer dans la zone de décontamination ? Qui habite encore les tours d'ivoire ?
Ce que l’on voit, il me semble, est une réorientation des sujets d’importance, une quête parfois sincère du sens de la vie de chacun. Plusieurs des questions posées n’existaient même pas dans la tête de la plupart d’entre nous, il y a, mettons, un siècle. La société était ségrégué, entre ceux qui s’occupaient de ces questions d’élite, et ceux qui s’occupaient de leur quotidien. Et entre temps, on est redevenu populaire.
Aujourd’hui, les gens sentent qu’ils peuvent constituer des corps décisionnaires ad hoc, menaçant les trames de pouvoir hiérarchiques. Les questions identitaires sont donc des questions d’assemblage : comment constitue-t-on des corps décisionnaires, des lobbies qui vaillent ?
Si j’ai titré cette section « Problème de granularité », c’est parce que cette question d’échelle et d’éléments constitutifs des corps décisionnaires n’a pas de réponse unique, sinon combinatoire. On le voit, par exemple, dans la constitution de « groupes parlementaires » dans le parlement européen. Des nationalistes, l’extrême droite, se constituent un pouvoir central, dans le but de l’autonomie à de toutes autres échelles, théoriquement, à l’instar d’un Trump dans un système d’états unis désunis.
Ces politiciens d’extrême droite avanceront l’argument qu’ils ne le font que par pragmatisme. Constatant l’existence et la puissance de ces corps supra-nationaux, démographiquement immenses, ils essayeront de s’en accaparer pour mieux s’en libérer. Il reste qu’en ce faisant, il est observable qu’ils trouveront des alliés et des liens plus forts, peut-être, au niveau international qu’avec leurs propres nationaux, idéologiquement opposés. Comment se divise-t-on, dans ce cas, si ce n’est pas entre caïds et meneurs de clans, basées sur une sorte de primogéniture ancestrale ?
La soi-disante préférence nationale est elle-même pleine d’hypocrisie. J’ai entendu à la radio qu’une bonne partie des naissances en France viennent de couples où au moins l’un des partenaires est d’origine étrangère – c’était la formule d’usage. Je suppose que d’entre ces couples, ils se trouveront pas mal de députés et de journalistes – logique – puisqu’ils et elles se fréquentent. Cela ne date pas d’hier. La royauté et sa retenue, en Europe, est européenne, depuis toujours on choisit de fomenter des alliances, entre pays, par des mariages qui arrivent à la consanguinité supra-nationale.
Par rapport à l’écologie, on voit que l’ordre du jour se dirige vers le localisme, pâle reflet du monde étiré par les super-riches. Mais le monde physique nous donne des leçons objectives. Elle fonctionne, objectivement, à plusieurs échelles interactives à la fois, et les différentes échelles s’enchevêtrent. Ce métaphore de la granularité a donc des limites, parce que plus près de l’entropie d’une plage que de la complexité d’une forêt.
Le monde des super-puissances géopolitiques, gonflés par cette ambition abracadabrantesque du centralisme cru, est encore plus éloignée de la délicate interface entre l’échelle des forêts statiques et, par exemple, la transmigration rythmée des oiseaux qui effleurent sans endommager, en enrichissant ce monde plastique à leur commande qui toujours les échappe.
Le modèle localiste manque de sens, si l’on n’accommode pas ces grands voyageurs, ces migrateurs à toute échelle, comme les oiseaux et les virus, sinon c’est fatalement leur rythme qui finira par s’imposer sur nous. Dans les océans et dans n’importe quel corps d’eau, c’est la relation dynamique qui prédomine aussi, ce qui met en doute la pertinence de la territorialité, du « territoire », (dans l’océan, un « territoire » peut être un courant) comme unité de base. Cela conduit à la renaissance du concept « peuple », qu’il soit ou non géographiquement auto-identifié, qu’il ait ou non un sens racinaire.
Et cependant, l’intelligence de l’oiseau, d’un rapace ou d’un corbeau, est territoriale : il est « géographe », par excellence, et il étudie et il suit, attentivement, dans son étude, les traces et les fréquentations humaines.
Mais comment faire, dans un monde sans frontières ? Peut-être que la réponse est devant nos yeux, mais que personne n’est si aveugle que celui qui ne veut pas voir.
L’osmose, ce processus qui permet de trier et de niveler, à travers les frontières, les périmètres, plus précisément, donne une bonne partie de la réponse. Ici une définition et un lien :
https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/chimie-osmose-5766/
L'osmose est le passage de molécules de solvant, en général de l'eau, à travers une membrane semi-perméable, depuis le milieu le moins concentré (hypotonique) en solutés vers celui le plus concentré (hypertonique).
Ce phénomène s'arrête lorsque les deux liquides séparés par la membrane ont atteint la même concentration. On parle alors de milieux isotoniques. La pression hydrostatique due à la différence de hauteur d'eau entre ces deux milieux compense alors la pression osmotique
Ce qui est intéressant dans cet exemple, pour moi au moins, c’est que c’est un processus autorégulateur, multifactoriel. La « membrane » est semi-perméable. Ni imperméable, ni totalement perméable, elle discrimine, une forme de boucle retro-active. Quel être vit sans eau ? Les agents qui déterminent sa perméabilité sont ceux qui la pénètrent, c’est leur densité dans le milieu, leur distribution, qui est déterminante. Je lance le défi à quiconque de désigner une forme de vie qui est ou totalement perméable ou totalement imperméable. Donc, je défis à quiconque défend le concept que l’intelligence, au singulier ou au collectif, peu importe, puisse être un processus de commandes d’en haut, plutôt qu’un assemblage bien transitoire de ses parties constituantes, forcément du bas vers le haut, forcément interactif. Ceci, en guise de bon vieux argumentaire de doxa médiéval.
Les super-organismes appelés « états » ou états nations, etc., avec leurs frontières, créent des interruptions de flux « osmotiques » du demos. Je pense à des exemples comme la Mayotte, dans les Îles Comores, qui illustre bien, il me semble, ces phénomènes « artificiels » qui distendent l’espace-temps local, créant le chaos dans la distribution locale de richesse, pour des enjeux d’entretien de comptoirs par des puissances non-locales.
La dématérialisation du « nous » commence là. La guerre ukrano-russe est un autre exemple. On vient de voir Poutine démontrer son pouvoir de nuisance sur tout le territoire ukrainien, en lançant une salve de 150 missiles, montrant beaucoup de tact en choisissant une date intermédiaire entre le noël européen et le noël russe, et peu de morts. L’un de ces engins qui a franchi l’espace aérien de l’OTAN en Pologne, pour ensuite atteindre son but en Ukraine. Une menace codée et finement jugée, purement symbolique.
Pourquoi fait-il cela ? Nos journalistes sur ménagés et hyper-actifs ont, comme d’habitude, raté l’analyse intelligente et mesurée, préférant une sorte de code morse populiste. Ils se sont concentré sur l’effet plutôt négatif pour Poutine d’augmenter la rage et la haine des ukrainiens, en ignorant la méta-analyse du « pourquoi donc fait-il cela ? ».
Je donnerai une réponse articulée, non pas sous-jacente ou dans le non-dit. Dans le non-dit, tout est dit, aujourd’hui. Dans le reportage que j’ai entendu tout-à-l’heure, on a dit que le Royaume Uni envoie 200 missiles anti-aériens à l’Ukraine, immédiatement. En ce disant, on a non-dit que cela nous en fait 200 de moins pour nous protéger nous-mêmes.
Dans d’autres reportages, échelonnés dans le temps récent, on a expliqué à la va vite que les pays européens n’étaient pas encore en pied de guerre, c’est-à-dire, qu’ils ne s’étaient pas encore décidés à prioriser et investir massivement dans la production d’armements, surtout de munitions, ils hésitaient encore. La Hongrie bloque l’aide collective européenne à l’effort de guerre en Ukraine, ce qui aide à perpétuer ce non-effort-de-guerre collectif, merci Hongrie, pour encaisser et dévier le regard.
Les républicains, aux États Unis, ont bloqué la tranche d’aide militaire de plusieurs milliards d’euros qui était anticipé. Merci, les républicains, pour l’avoir dit, pour laisser le gouvernement dans la position confortable du non-dit. Les ukrainiens manquent de combattants, étant donné qu’ils en perdent plus avec moins de super-armes et en maigres rations de munitions. Pas de feux d’artifice pour eux, en tous cas, cette année, ce serait du gaspillage. Flux tendus au point de rupture, peut-on vraiment demander aux européens de rentrer personnellement en guerre avec la Russie ? Et pourquoi, finalement ?
Et les journalistes, ils ont présenté tout cela comme un roman graphique, à la va vite, un copié-collé digne de Chat-GPT, de questions de politique interne, de puérilité politicienne, de faux amis est-européens. Pour les intellectuels, le sous-texte, pour les ploucs, la version bande dessinée. Notre langue est trouée, notre leadership aussi, par des non-dits et des non-chefs, prêt à abdiquer toute responsabilité pour l’articulation de cet état d’affaires.
L’Occident (plus ses comptoirs – l’Israël, l’Australie, etc.) :
« Poutine joue-t-il loyal ? Pas du tout. » Mais la conversation est plutôt celle-ci. « Veux-tu que nous nous fâchions vraiment, que nous nous mettions en pied de guerre, au risque d’une profonde déconcentration sur le délicat équilibre de nos affaires internes et hégémoniques ? Nous n’avons pas encore pris ce pas. On peut arriver à un compromis, nous pouvons encore te sauver la face. »
Poutine :
« Voulez-vous reconnaître une fois pour toutes que l’abandon de la Crimée, notre base d’ouverture au monde sudiste, immémoriale et historique, et l’absorption de notre proche étranger, voir notre « Tibet », l’Ukraine, par vous, ne nous sont et ne seront jamais acceptables. Plus vous réussissez à saper notre position de pouvoir régional régnant, dans ce sphère frontal, plus nous serons obligés à vous emmerder, n’ayant pas l’intention de nous prosterner devant vos faits accomplis. »
Nous parlons « Poutine » comme un mantra, c’est tellement bête. De la pure propagande, étant donné que même ses opposants, en trouvant le pouvoir, auraient les mêmes fondamentaux stratégiques en tête.
Poutine est en train de nous dire : « laissez-nous libres, soyez loyaux, ça suffit, à la longue. » C’est le même message codé que celui des palestiniens, « nous vous faisons, en version courte, ce que vous nous faites subir depuis des décennies. Comprenez que ça suffit – vous êtes démasqués par nos atrocités. »
Nos comptoirs sont aussi nos cauchemars, revenus nous hanter après tant d’années. Il y a une once d’humour (je fais fonction d’avocat du diable ici, très deuxième degré, ce qui donne aux malhonnêtes la possibilité d’exciser ce commentaire et prétendre que j’écris ce que je pense, sans nuance) dans l’intelligence redistributive collective de l’affaire. Nous avons signé des conventions de droits universels de l’homme qui nous assurent un flux constant de personnes issues de pays en guerre, en guerres de comptoir, guerres de proxies. Les personnes qui viennent sont diversement traumatisés, habitués, endurcies et formées par le « haut conflit » (violence, passage à l’acte, souvent contre nous, notre culture et nos méthodes).
Ces personnes, dans la forme de « réfugiés politiques » et de « fomenteurs de troubles » font partie de notre « préférence nationale », nos migrants privilégiés. Bizarre, non ? Des honnêtes gens qui sont venus plutôt dans l’optique d’une vie paisible et productive, les « réfugiés économiques », nous les vilipendons comme des profiteurs, nous les rejetons, nous les soumettons, de nouveau, dans une parodie de l’esprit gaullien. Et cependant, cette situation de fait est à peu près irrécupérable, sans grand génocide, maintenant.
Cumulativement et à la longue, nous, les puissances dites « ex-coloniales » devenons des pays-mondes, et avec l’ubiquité de nos transports, nos mains-mises sur le système économique et les communications instantanées, nous sommes les sociétés les plus mixtes, les moins homogènes du monde. Ce qui nous distingue, peut-être, est la subordination de l’identité nationale à l’intérêt particulier et profondément égoïste de tout un chacun. Il y a un auto-tri osmotique qui va dans ce sens-là. Pour ainsi dire, les derniers à réussir à grimper sur le bateau de sauvetage sont les premiers à repousser à l’eau les prochains venus. Il ne faut pas que cela déborde, ni que l’on soit « remplacé », il y a des quotas. Très Darwinienne, finalement, cette préférence nationale, très performative. La nouvelle loi exprime bien ce concept d’auto-tri performatif, ce syndrome de Stockholm en souvenir de la Choir.
Il y a aussi cette vision qui nous dépasse, nous, les européens, dans nos minuscules pays – si la Russie a une population bien plus grande que chacun de nous (200 millions?), elle occupe la plus grande surface terrestre du monde, touchant sur l’Atlantique et la Pacifique. Elle est, relativement, sous-peuplée, avec des ressources naturelles bourgeonnantes. Sa potentialité est latente, son territoire aussi difficile à occuper qu’à défendre, et depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, elle a subi une guerre économique et idéologique d’attrition, de la part des pays de l’OTAN, autour de l’axe principal des États Unis, de l’Angleterre, du Japon et de la France, pour qu’elle n’assume pas sa vraie place dominante dans la Géopolitique.
Poutine menace de réveiller l’ours. Les changements climatiques le réveillent déjà, le dégèle du permafrost la secouent dans sa longue hivernation, un bascule d’état frigide à état liquide, instable et dynamique, a lieu d’être. Nous avons du mal à saisir ce que la Russie aurait à faire en Afrique, qui, nous croyons, nous est bien plus proche, culturellement et climatiquement. Redressons-nous. L’Afrique est un continent de l’envergure de la Russie, ce dernier un pays-continent qui s’est auto-constitué par le colonialisme et le comptoir-isme interne, dans un cadre continental, non-maritime, et sans éliminer une bonne partie des « indigènes ». Un pays continent, sans discontinuité, dont les russes font partie, comme peuple ancien et moderne, essentiellement européen, basiquement opportuniste.
Nous oublions de noter que la Russie a encore beaucoup de chemin à parcourir pour nous rattraper, dans ce parcours qui nous est devenu « postcolonial » (euphémisme - « oligarchisme » universaliste, peut-être ?).
Prenons le Singapour et le Hong Kong, face à l’Indochine et à la Chine. Les Îles Britanniques qui, pendant des millénaires, ont eu leur « paroi osmotique », pour dire l’océan, ont été des forces clés dans la restitution de ce système osmotique, gréco-romain, de « comptoirs » coloniaux, faisant partie de systèmes impériaux de la même manière que l’entité artificielle « Israël », créée de toutes pièces par des puissances coloniales, fait partie aujourd’hui de l’hégémonie états-unienne. Le colonialisme est, finalement, très payant, … trop payant, il permet d’extraire et de détruire sans subir directement les conséquences de ses actes.
Depuis l’époque des grecs et des phéniciens, il a été payant, il crée des cellules, des parois et de l’osmose culturelle – en relation avec l’altérité des flux tendus. Dans ce sens, par exemple, l’établissement de l’Empire Romain n’est pas un accomplissement de faits d’armes mais un processus d’assimilation réciproque culturelle, amorcée, pour simplifier, par les grecs, qui rend possible, comme si c’était un fait accompli, la convergence et la mutualisation d’intérêts, la Pax Romana. Ce n’est que lorsque cet empire perd ce dynamique, en devenant centriste, que le drapeau est transféré aux peuples, territoires et nations assimilés à cette culture, qui ont terminé par l’intégrer et l’exprimer à leur guise.