mercredi 8 décembre 2021
Lorsque j’y réfléchis, en attribuant la valeur « friche » à un endroit, on
l’abandonne, en lui conférant le statut de « nature »,
sous le label de « réserve
de la nature », il n'est pas de notre monde, sinon celui des experts. Mais le jardin, on continue de le cultiver, pareil.
En ceci, les anglais et les japonais varient quelque peu : ils soignent « la nature » mais toujours dans le but de la rendre plus « naturelle » ; « wilderness » est la catégorie anglaise de la nature non-soignée.
En écrivant ceci, je pense à un sous-bois, au bord du Canal de Midi, où j’ai été horrifié de trouver un campement abandonné contenant tous les déchets et immondices du monde moderne, à quelques encâblures d’un collectif dédié à l’économie circulaire – le recyclage des déchets.
Tellement j’en étais dégoûté que j’ai passé des journées entières à désincruster piles et batteries du sol, à ramasser des fragments de plastique, à enlever des couches sanitaires, des slips souillés, des seringues … et ainsi de suite.
Comment se faisait-il qu’on avait laissé pourrir sur place si longtemps ces objets – au moins deux ans selon l’étendue de la mousse et du feuillage qui s’y étaient superposés ?
Dans ce bois de beauté en régénération ? Comme le secret honteux du coin ? En fait, je perçois que c’étaient des déchets, des rebus, cela n’existait plus, comme une crime enfouie dans l’amnésie – la mémoire traumatique. « Nettoie ta merde, ce n’est pas la mienne, je l’abjure », quelque chose de la sorte.
On fait pareil, finalement, dans plusieurs domaines, la pollution sonore cesse d’avoir de l’importance hors monde humain, les périmètres de l’intolérable rétrécissent, la nature ne réclame pas ses droits, noyée dans le vacarme du transport routier.
Si chacun prend sa petite responsabilité, le monde s’améliorera, n’est-ce pas, petit colibris, petite merde ?
En fait non. La friche, c’est la rage contre l’inachevé des autres, la culpabilité non-reconnue de l’échouage collectif. C’est la liberté de faire ce qu’on veut, cette friche-nature. Y attirer l’attention, c’est inviter des emmerdes.
Le recyclage de l'industriel est en train de devenir une industrie en soi, la recyclerie via la ressourcerie. Elle bénéficie de beaucoup d'espace dans l'ancien industriel, les hangars et usines, et de subventions d'état.
Cependant, il ne faut qu'un moment de reflection pour constater que tout ne brille pas dans ce monde apparemment vertueux. En favorisant l'essor d'un nouveau champs industriel - la récup et remise en forme de matériaux industriels, on crée un nouveau marché pour l'industriel. On perpétue l'industriel.
Deuxio, l'amplification de ce secteur, au dépens d'autres secteurs, exemple : l'humble potager à légumes, peut faire perdurer l'industrialisme, là où nos intérêts écologiques tirent plus vers notre réintégration à une vie moins industrialisée. Or, on risque de retrouver à cette époque critique bien peu de jardiniers mèlés avec beaucoup de bricoleurs, de maçons, de charpentiers, d'éléctriciens, tous avec des savoirs faires et des intérêts dans l'industriel et le toujours plus.
La voix de la nature se fait entendre dans la voix des jardiniers expérimentaux, qui sont si peu et si peu soutenus, lorsque l'industriel et ses succursales prennent presque tout. Les jardiniers sont des connaisseurs intimes de la nature, qu'ils sachent aménager la terre (écologiquement, hydrologiquement, à main) ou qu'ils connaissent la culture des plantes. Où est leur voix? Ces métiers, plus ceux de la transformation et la mise sur le marché des produits de la terre, doivent croître, surtout à petite échelle et au niveau local.
C'est dans cette infrastructure écologique dynamique que nous pouvons trouver les plus grandes transferts de l'industriel, avec ses énormes surcoûts énergiques, au post-industriel - l'usage intelligent de ressources naturels qui viennent de notre milieu de vie. Nous ne pouvons pas, en toute bonne conscience, continuer de gonfler artificiellement nos besoins physiques en énergie, alors qu'en utilisant notre intelligente coopération collective nous pourrions nous en sortir avec plusieurs fois moins.