Diary mardi 20 juillet 2021
L’infrastructure dont il se traite est une infrastructure écologique dynamique – qui remplace de manère incrémentale l’infrastructure routière et industrielle présente. Il y a des écrits détaillés à ce propos ici : www.cv09.toile-libre.org mais il faut avouer que cela se passe dix fois mieux à vive voix et en actes. Ces écrits de référence donnent un coup de pouce aux flux de communication dynamiquement stables - le prérequis du consentement informé.
Le but, étant ici sur Toulouse, est de chercher des co-activistes. Avec un bon sens du timing : c’est précisément le moment où tout le monde se sauve à la campagne. Peut-être qu’il ne reste que des inactifs, des décrépits et des frustrés ! On se fera bonne compagnie. Le progrès se fait toujours aux marges.
Il faut s’imaginer qu’il y a un ferment d’énergies sociales réprimées – qu’à la campagne se fera le point rencontre de rupture, en cet été urbain co-vidé. Mais moi, je ne me fies pas aux apparences, je veux des preuves ! Je pense à ma ville balnéaire d’enfance – Swanage dans l’occurrence – qui pullulait d’ados français d’une impolitesse exécrable en été – et qui, en hiver, devenait le lieu de rencontre par excellence des jeunes du coin. On avait un nom pour les touristes estivants : les groks. Je n'ai pas l'impression qu'ils arrivaient à faire quoi que ce soit pour retisser des liens durables, pas basés sur l'appât du gain.
Cette transhumance en meute – une affaire de porcins plus que d’ovins. "Si tu subis ou tu es témoin d'une oppression, permets-toi de casser l'ambiance - elle est sûrement déjà pourrie". C'est une citation de pancarte qui se trouve ici - je me permets de vous offenser sur cette base de non-affabilité amicale.
J’essaie d’y mettre un tilt. Un pas de côté. Les lignes de force sont extensibles, même en été. Pourrions-nous faire de nos voyages individuels des retissages de réseau, cette fois-ci pour donner une vraie place aux pauvres, aux voyageurs et aux frugaux - les pratiquants de l’économie écologique à venir ? Laisser des traces positives derrière nous, pour tous ceux qui suivent dans nos pas ? Sans être figés nous-mêmes, est-ce que nous pourrions bâtir les fondations d’un entre-nous qui permette à tout le monde de voyager, de travailler, de trouver sa place en mouvement, en non-sédentarité ? Il suffit de si peu de choses, maintenant, pour que cela devienne réalité.
J’espère que la crispation de ma voix en symboles ne se fait pas trop sentir. Cela fait des années que je travaille à ce but. Je vois des signes d’espoir, beaucoup d’espoir, en ce moment-même. Les gens bougent – ils s’éparpillent partout. La difficulté primaire, de réfléchir ensemble sur un projet, d’en décider et finalement de se mettre en chemin, enfin de se déconfiner, n’est plus de jour. Là, il faut sauter sur le cheval à galop.
Le plus difficile pour moi est de narrer le banal – banal pour moi, inconnu des autres encore. Pour arriver à contester une infrastructure – l’industriel dans lequel on nous a macéré ces longues années, il en faut une autre, sans industriel, qui se tienne. Cela se fait par des actes d'accueil, des préparations de chantier pour les autres - l'homme à tout faire n'étant pas de mise.
Pour une bonne partie d’entre nous, c’est à peu près à ce point-là que surgit la phrase « mais on ne peut pas revenir en arrière comme ça ».
Pour moi, le passé est industriel, mécanique, fait de pétrole, de métal, de superhéros mécaniquement assistés. L’avenir se trouve dans les sciences du vivant, de la mixité, d'un domaine dans lequel les avancées ne cessent de croître, tandis que le mécano-physique est plutôt dans une période de stagnation. Il se peut que bientôt même nos outils informatiques seront construits d’ADN – ou plutôt auto-construits, ou « poussés ». Le physique, c’est le vivant, maintenant plus que jamais. Il y a cette convergence, là où il n'y avait que divergence.
Notre civilisation se caractérise par la surconsommation d’énergie, jusqu’à il y a peu doctement inépuisable. En regardant de plus près le vivant, on observe l’adresse avec laquelle il économise ses moyens, l’élégance des solutions qu’il trouve face aux obstacles. Nous en faisons partie. Nous en faisons dorénavant la plus grande partie, nous et nos bêtes, nous et nos céréales. Il en va, maintenant, du monde du vivant, dont nous, dont nous surtout.
L’industriel est déjà du passé, il ne peut nous donner des réponses satisfaisantes à l’avenir. C'est une divorce sans faute, mais nécessaire à nos vies. Si l’on dit « un autre industriel est possible », sûrement, on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Mais c’est un industriel qui risque d’être méconnaissable sinon l’antithèse de ce qui existe à présent. C’est-à-dire qui respecte l’échelle du vivant, qui rephysicalise nos rapports, dans un mosaïque de contacts entre échelles, puisque nous, êtres physiques, vivons interpénétrés d'une nature également physique dans toutes ses dimensions, une réalité que nos artifices nous épargnent sans rien résoudre.
L’industriel nous a invité, selon l'expression bien connue, à faire « des économies d’échelle ». Je traduis : il est prêt à tout niveler, tout uniformiser, pour la plus grande utilité de machines chaque fois plus gargantuesques, ou en tous cas plus ubiquiteuses, qui nous remplacent, qui mutile et rend inutile la majorité vivante.
De manière plus indirecte, insidieuse, nos déplacements et nos communications à distance font le boulot de l’industriel en nous détachant des réalités physiques des êtres naturelles qui nous entourent, autant humains que non-humains. Les groupes sont statiques, pas dynamiques, dans ce monde de course poursuite à haute vitesse.
Prenons l’exemple d’un village type de cent habitants à la campagne. 30 font la navette chaque jour à des boulots à 50km autour, sinon plus loin, en voiture. Ils ne connaissent que les noms des bleds par lesquels ils passent, en chronomètrage. 10 font du télétravail – ils ne sortent guère de chez eux. 30 sont des retraités ou des malades chroniques – auxquels on donne de l’aide à domicile, venu de loin, en voiture. L’école primaire est dans le prochain bled – on y va en voiture. Les ados sont en pensionnat, au lycée pendant la semaine - c'est le car. Tout le monde va aux grandes surfaces – à 30 kilomètres de là. 5 personnes cultivent la terre et en gagnent leur vie, il n’en faut pas plus pour servir les machines qui fournissent le gros du travail. Une partie des maisons reste inoccupée neuf mois sur douze, ce sont les maisons de campagne des riches urbains.
Et tout le monde, mais tout le monde, dans ses heures libres, fait tourner la débroussailleuse pour réduire sa nature à des proportions gérables. Le jardinage se rédéfinit, à son tour, à un seul geste. En fait, la débroussailleuse, elle broie plus qu’elle ne coupe. Peu sont les insectes – et leurs œufs – qui s’échapperont du carnage. Une faucille, une faux, elle ne fait pas ça. Je note qu’il y a de plus en plus de machines qui broient – qui déstructurent et gazent la vie. Que les nuisances sonores, surtout en pleine campagne, se déchaînent, comme si l’humain avait horreur de la nature qui s’écoute.
La révolution post-industrielle sera donc composée fatalement de notre silence mécanique, pour que la nature retrouve sa voix - et nous notre chant, notre chantier, notre sentier de vie.