Diary dimanche 18 juillet 2021

Premier jour hors Ariège depuis trois ans peut-être

À célébrer ? J’ai dormi auprès d’un lac à Le Fauga, en route à Toulouse. Que des bétonniers, / trains / autoroutes / truites / moustiques – et la chaleur. Il y a trois jours j'étais près de Sentein, à 1800 mètres. Ah, la plaine!

Diary lundi 19 juillet 2021

Là, j’arrive au Pum. Des énormes hangars pas loin de Compans-Cafarelli. Cela me fait penser à un squat où j’ai passé la nuit à Bilbao. Avec un autre, on était enfermé pour la durée dans un énorme local. Peut-être en 2002. On nous a essentiellement laissé occuper l’espace, sans direction. Le décor et la manière de faire sont à peu près identiques ici - mais il y a des gens chaleureux. En réalité ce lieu est dans sa sénescence, il attend le coup fatal de l'expulsion, il reste l'équipe de veille. J’ai été reçu par quelqu’un qui a ensuite disparu, il est en train de soutenir une conversation marathon avec sa sœur dans un pays de l’Est. Plus tard, malgré la barrière de la langue, j’ai tenté de lui avancer la thèse que l’écologie est incarnée, physique, mais que nous, nous sommes devenus des machines à rayon indiscriminé. Il en va de son séjour en France – s’il ne connaît ni la langue, ni l’histoire du pays dans lequel il se trouve, il risque de se faire virer, avec ces nouvelles épreuves chauvines. Mais si les réfugiés sont malaxés par l'administration, ils ont toujours le recours à leur communauté humaine - les outils virtuels les soudent parce qu'ils favorisent le diaspore, tandis que le sédentaire n'a que son manque de paysage humain d'ailleurs. En fait les gens qui se tiennent à distance, surtout dans l'après-virus, subissent l'effet ricochet. Se sentant eux-mêmes isolés, ils s'isolent, pourque la bulle de chaleur humaine perdure mieux dans leurs têtes.

Je ne sais pas pourquoi on ne le fait pas plus remarquer. La culture « squat » est l’une des cultures les plus stables, les plus inchangées, les moins évoluées, depuis au moins les années 1970. Je n’y comprends pas grand-chose – pourquoi des lieux qui se veulent progressistes, développementaux, où toute liberté est assurément donnée à créer et à innover, est-ce que le résultat est si copié-collé? Peut-être on se laisse influencer, opprimer même? Et les moyens de bord sont à peu près pareils. On m'accuse de présomptivité. Il est vrai que ces observations pourraient provoquer de la colère, alors que je suis plutôt souriant du plaisir de la retrouvaille de lieux si familiers. L'engagement que j'apporte est, de ce fait, d'abord critique.

On peut faire des hypothèses. L’Intelligence Collective, décrite par Joseph Henrich (Harvard, 2016) et que je préfère appeler la stupidité collective (l’une ne va pas sans l’autre) a besoin de « turnover », de brassage, de traces lissées. Or, le désir et l’enthousiasme des nouveaux squatteurs est de faire eux-mêmes, comme les enfants qui construisent des cabanes dans les bois. Le caractère d’un squat est d’accumuler de vastes quantités de matériel, de récup et de bouffe, de l’organiser dans l’espace, de commencer des œuvres d’art qui, étant donner le caractère impermanent d’un squat, sont éphémères. L’intelligence collective n’existe que dans la transmission de la technique "loge", avec les moyens à bord. Le collectif n’est, dan les faits, pas collectif. Le savoir de la bricole - et que de la bricole - se transmet de la génération d’avant, sans opposition – c’est le seul savoir cohérent. Il en surgit des chefs d'oeuvres, un dialecte, des futurs systèmes sociaux, par des bribes et des brins. Et l’adolescence est à perpétuité, amen.

En arrière-pensée, je sais que ces mêmes gens, s'ils se trouvent dans un lieu de savoirs fementés, un jardin par exemple, où les plantes poussent sans craindre l'abattage, ils s'appliqueront aussitôt aux exigences du devenir de ce lieu-là, qui n'est pas plus figé qu'un squat, mais qui a sa propre temporalité. Il est difficile de s'avouer qu'on est touché par les traces visibles de l'impermanence, de la destruction anticipée. Mais j'ai une conviction croissante que c'est de cela que ça traite - notre destruction de notre environnement est codifiée, comme une expiation céremoniale des traumatismes récurrents. Le squat est une oeuvre à clef.