mardi 20 juin 2021
On aurait du le voir venir. On, c’est au moins moi, bien entendu. Avec tous ces verbes censés faire du sens, singuliers, pluriels, faits pour interpeller et instrumentaliser, il n’est pas facile de se fondre dans la masse. Et pourtant, on fait masse, peut-être comme jamais auparavant. On n’a que peu de prise sur la masse, finalement. Les chiffres ne font pas masse, mais blocs et tendances. Je ne sais pas pourquoi on ne le fait pas plus remarquer (si je le sais je ne le dis pas). Les chiffres sont quand même à la base de notre démocratie. Peut-être c’est pour ne pas être accusé d’hérésie qu’on ne le dit pas ? D’un côté, les riches et les puissants, qui avec leur libre arbitre décident, de l’autre côté « les masses », faisant offre chiffrée. Les élections passent. Avec étonnement las, les commentateurs notent qu’ils ont de nouveau totalement foiré les prédictions de tendance. Lorsque le modèle ne fonctionne plus, est-ce que l’on peut se permettre d’en inventer un autre ?
J’en ai un ! La vie est exponentielle. D’un moins que rien, tout peut naître – la singularité peut vite devenir la norme. Les tendances ne fonctionnent, tant soi peu, que lorsque le vaisseau atteint sa vitesse de croisière. Toute autre interprétation est tendancieuse.
Si l’on y réfléchit un peu, une masse d’humains numérotés est composée de petits amalgames sociaux, ce ne sont pas des atomes, mais des grains. On les divise avant de reconstituer la masse à une échelle supérieure, la gagne-pain que l'on appelle la démocratie, mais dans la vérité historique, ces mêmes humains ont eu plutôt tendance à agir en « bandes organisées » qui se cumulent pour passer au prochain rang. Tandis qu'émane de la démocratie une sorte d'absence de structure sociale définie. Selon la rhétorique unitaire, la liberté est absolue parce qu'individuelle, mais dans ce cas, on a une machine à broyer l’humain social. Si l’on y rajoute des portables et des identifiants universels uniques (les « prime keys » des bases de données), on s’est créé un monde où la résilience et l’autonomie sociales sont mortes. L'individu est massifié, son identité, aussi unique qu'elle soit, ne l'est que par rapport aux géants. Si l'on devient obsédé par les catégories sociales, c'est plus comme stigmates qu'en donneuses d'une autonomie quelconque.
Il est assez facile de prédire, à partir de cette analyse, nos comportements actuels, d’apparence autonomes, dans leur réalité plus dépendants que jamais. L'enfant se sent libre, mais est-il observé par un adulte? Ce n’est absolument pas au plus grand nombre de décider – les choix qui lui sont présentés sont infiniment peu divergents des normes en vigueur. La démocratie aménuise et amortit le risque de divergences politiques. Le corps social débat par tête parlante interposée, les têtes sont interchangeables, font une, même dans leur diversité.